Mon temps de cerveau disponible m’appartient, par Christian Lehmann (médecin et écrivain)

Je soutiens MediaPart parce qu’en tant que médecin, j’ai appris par la force des choses à faire le tri entre information et communication. 

Chaque jour, m’est accessible une foule de communiqués de presse et d’ « informations » sur le médicament ou les nouvelles techniques médicales et chirurgicales, pondue par des équipes marketing. « Informations » que je choisis de laisser de côté, car je n’ai pas de temps à perdre, et, surtout, pas de « temps de cerveau disponible » à polluer par des informations non validées qui, au final, pourraient influencer mon jugement, mes décisions thérapeutiques. Si je veux être au seul service des patients qui m’honorent de leur confiance, il me faut savoir privilégier une information indépendante, validée, quand bien même le chemin pour y accéder est plus ardu, car là, il n’existe pas de « généreux mécène » intéressé.
 
 
Dans le domaine de l’information générale, de l’information politique, il en va de même. Je ne supporte plus, lorsque m’arrive une information, de devoir perdre un temps précieux au décryptage des réseaux qui la véhiculent : « Qui paie ? Qui travaille pour qui ? Qui craint de perdre son poste ? Qui va racheter qui et doit donc se glisser dans ses petits papiers ? Qui renvoie l’ascenseur ? ». Nous en sommes arrivés à ce point de méfiance où, pour nombre d’entre nous, lorsqu’une parole s’exprime, nous cherchons à savoir, un peu comme la Zazie de Queneau dans le métro : « Doukipudonktan ? ». Ce n’est plus acceptable, c’est malsain.
 
Je soutiens MediaPart parce qu’en tant que citoyen, lors du combat contre les franchises sur les soins décidées en dépit de toute logique médicale ou économique par Nicolas Sarkozy, j’ai pu mesurer, à de rares exceptions près, les blocages et les écueils dus au fonctionnement actuel des médias en France. Les franchises, me disait-on, n’étaient pas « un thème de campagne ». Pas plus que ne l’étaient le pouvoir d’achat ou le monde du travail. Les « thèmes de campagne » autorisés (par qui ?, là est toute la question) étaient l’identité nationale et le drapeau. Comprenne qui pourra.
 
Aujourd’hui, un an plus tard, franchises sur les soins, pouvoir d’achat, code du travail sont au centre de toutes les discussions, de toutes les analyses autorisées, de tous les éditoriaux. Au vu du calendrier électoral : un an trop tard. Et des patients âgés, des patients atteints d’affection longue durée, découvrent seulement aujourd’hui, fin 2007, qu’ils subiront demain les franchises sur les soins. Parce que pour les médias usuels, ce n’était pas un « thème de campagne ».
 
Je soutiens MediaPart parce qu’en tant qu’écrivain, je crois que les mots ont un sens, et que l’atonie actuelle des commentateurs autorisés face à la destruction même de la langue est préoccupante. Les ministres mentent, les porte-parole mentent, avec une componction savante, en jouant sur les mots, et lorsqu’on le remarque, c’est pour s’émerveiller de leur sens de la rhétorique, pour pouffer sur telle ou telle perle, sans oser appeler un chat un chat, et révéler que, confronté à l’exercice du pouvoir, le roi est nu.
 
Je soutiens MediaPart parce que le web est un outil réactif, instantané, indispensable en ces temps de soumission aux pouvoirs politique et financier, mais que les bloggeurs, quelle que soit leur qualité, quelles que soient la finesse et la pertinence de leurs analyses, sont le plus souvent contraints au commentaire des faits, ne pouvant se donner le temps et les moyens de l’enquête, de l’investigation. Je suis prêt à payer pour cela, pour qu’au-delà du commentaire et de l’analyse, quelqu’un arpente le pavé, fasse le pied de grue dans les couloirs, s’immisce là où il ne faudrait pas aller et porte la plume dans la plaie. Je suis prêt à payer parce que j’ai compris que dans ce monde de fausse gratuité, quelqu’un paie toujours, et que celui qui paie décide.
 
Je paie, je décide, mon temps de cerveau disponible m’appartient.
 
(Christian Lehmann est médecin généraliste et écrivain, initiateur avec Martin Winckler de l’appel contre les franchises sur les soins. Dernier ouvrage paru : « Les Fossoyeurs », éditions Privé-Michel Lafon)

Je suis également médecin généraliste et comme vous, je recherche une information médicale fiable pour mieux soigner. ( d'où mon abonnement et la lecture régulière de la revue Prescrire).

Je poursuis désespérément le même objectif concernant l'information générale.
Pour l'instant et pour des raisons multiples, il n'est que très partiellement atteint.
J'espère trouver en Médiapart un outil nécessaire pour mieux comprendre et décrypter une information dépourvue de toutes influences extérieures... pour rendre à nouveau disponible mon temps de cerveau.

Merci de savoir si bien écrire les raisons, pour les quelles je me suis abonné.
Merci, merci ,merci.
Je ne suis ni médecin ni écrivain, mais, je me retrouve entièrement dans les raisons exposées.

A propos d'information sur les médicaments, j'ai discuté récemment (un peu par hasard) avec une personne travaillant dans l'industrie pharmaceutique, et j'étais assez estomaqué d'apprendre que, non seulement les labos ont des "visiteuses ou visiteurs" médicaux, ça je le savais déjà, mais que l'industrie pharmaceutique dispose de chiffres basés sur un maillage géographique très fin (genre 3 ou 4 généralistes par cellule) ce qui fait que par quelques recoupements il leur est tout à fait possible de connaître ce que chaque médecin prescrit !!

(et que donc les "cadeaux" peuvent tout à fait être "proportionels" aux "ventes" réalisées par ces médecins ...)

Vous confirmez ?

Bien que ce ne soit pas le sujet ;-), je confirme qu'à ma connaissance le recoupement sur quelques pharmacies proches du cabinet du médecin permet une approche très détaillée de ses prescriptions.
Ceci dit, comme un nombre heureusement grandissant de confrères, je ne reçois plus de "représentants commerciaux des firmes" depuis des années ( ne dites pas VM, et ne parlons pas non plus de "franchises médicales": ni les uns ni les autres n'ont rien de médical)

cordialement

PS: vous ne trouvez pas qu'on est un peu comme avant un spectacle, ici? On discute dans les travées en attendant les trois coups, et en espérant que la pièce sera bonne. L'enjeu est important.

"PS: vous ne trouvez pas qu'on est un peu comme avant un spectacle, ici? On discute dans les travées en attendant les trois coups, et en espérant que la pièce sera bonne. L'enjeu est important."

Oui c'est clair, ce rideau met du temps à se lever !! Mais j'ai l'impression qu'il y a des mouvements derrière, il a un peu bougé là je crois non ? :)

Sinon merci pour la confirmation, ce que je trouvais étonnant aussi, c'est que cette personne disais que les infos de tous les labos sont mis en commun et chacun a acces à tout !

médecin généraliste également 30 ans d'exercice :
J'admire la certitude de C Lhemann qui ecrit avoir appris a faire la difference entre information et communication...
Quand il dit
je n’ai pas de temps à perdre, et, surtout, pas de « temps de cerveau disponible » à polluer par des informations non validées qui, au final, pourraient influencer mon jugement, mes décisions thérapeutiques. Si je veux être au seul service des patients qui m’honorent de leur confiance, il me faut savoir privilégier une information indépendante, validée, quand bien même le chemin pour y accéder est plus ardu, car là, il n’existe pas de « généreux mécène » intéressé.

Il me laisse perplexe car qui valide le valideur dans ce domaine ?
Seul au contraire une multiplicité des sources et leur identification -ce qui n'est pas si facile- permet de se faire une petite idée.

Par contre je suis bien d'accord
il n’existe pas de « généreux mécène » intéressé.

Il en fait la preuve puisque sa contribution se termine nous annonce ne meme temps qu'il est initiateur "de l’appel contre les franchises sur les soins" et se fait une petite "Pub" pour son prochain bouquin au titre accrocheur.
Personnellement je ne signerait pas cet appel car je suis pour les franchises sur les soins"
nous voila bien avancé !
Sommes nous dans le domaine de l'information ou la communication ?

"Chaque jour, m’est accessible une foule de communiqués de presse et d’ « informations » sur le médicament ou les nouvelles techniques médicales et chirurgicales, pondue par des équipes marketing. « Informations » que je choisis de laisser de côté, car je n’ai pas de temps à perdre, et, surtout, pas de « temps de cerveau disponible » à polluer par des informations non validées qui, au final, pourraient influencer mon jugement, mes décisions thérapeutiques."

Moi-même qui chaque jour appréhende le milieu médical, trouve un peu naïve la réflexion du Dr. Lehmann qui en tant que médecin s'indigne de la soumission aux pouvoir politiques et financiers - par respect pour la confiance de ses patients. Les traitements qu'il leur prescrit actuellement ont pourtant été portés à sa connaissance par du "marketing", de la communication, qu'il le veuille ou non. Ses décisions thérapeutiques actuelles ne sont pas nées d'un laboratoire secret installé dans sa cave... De même, les molécules les plus efficaces ont été inventées grâce aux (souvent désignés comme) honteux profits des grands groupes pharmaceutiques : les profits permettent aussi la recherche. Bien sûr des maladies imaginaires sont créées, bien sûr, tous les médicaments ne sont pas aussi "médicaux que marketing". Et pourtant, la médecine progresse. Faire la part des choses, en matière d'industrie comme en matière de liberté de la presse, me semble être une composante capitale pour ce type de questionnements. Il est facile de s'insurger, surtout quand on considère comme gratuit et acquis 50% des bénéfices apportés par ceux contre qui l'on s'insurge.

"Dans le domaine de l’information générale, de l’information politique, il en va de même. Je ne supporte plus, lorsque m’arrive une information, de devoir perdre un temps précieux au décryptage des réseaux qui la véhiculent : « Qui paie ? Qui travaille pour qui ? Qui craint de perdre son poste ? Qui va racheter qui et doit donc se glisser dans ses petits papiers ? Qui renvoie l’ascenseur ? ». Nous en sommes arrivés à ce point de méfiance..."

D'autre part, les théories du complot ne rendent jamais très intelligents ceux qui les clament. La bonne foi de M.Lehmann est touchante mais j'ai envie de lui demander : connaissez-vous une seule époque, un seul moment de l'histoire européenne ou mondiale où l'information fut pure, sans détours et sans nécessité d'analyse ? Quelqu'un a toujours "payé pour", tandis que d'autres ont toujours "craint de perdre leur poste", etc. Je ne vois pas en quoi cette révolte adulescente façon "Le Che découvre le monde moderne" apporte quelque chose au débat sur la différence entre information et communication. Ni d'ailleurs l'allusion (pour le seul plaisir de la faire) aux propos de M. Le Lay - allusion qui caractérise bien la polémique liée à cette petite phrase : critiquer avec cynisme sans aucune analyse de fond à propos des relations de dépendance entre médias et publicité. Cette ambiance nous rapproche de l'élève de cinquième qui ne sait pas trop comment s'en prendre à son proviseur et fait circuler sous les tables un gribouilli révolté. Dommage, il y avait matière à développer.

Tout le monde contrôle et diffuse son image selon certaines modalités. Tout le monde cherche à conserver ou a multiplier "ses clients".

Une attitude plus sensée, en somme, au lieu de s'offusquer d'un état de fait que chacun s'accorde à reconnaître, serait de se dire : à présent, faisons la part des choses, et comme de tous temps, sachons décoder les codes, décrypter les messages, mieux comprendre les objectifs et les tensions qui sont celles des producteurs de contenu.

Je ne suis ni médecin, ni écrivain, mais je trouve le message de Christian Lehmann intéressant.
Bien sûr qu'il n'y a pas d'époque où ces travers n'ont pas existé, mais cela ne dispense pas de critiquer ces dérives et de les combattre.
Le renoncement ne me semble pas un bonne stratégie, même face à de tels mots.

Un des thèmes essentiels de l'analyse des régimes politiques, chez Spinoza, est celui de la libre circulation des idées, caractéristique, selon lui, de la république. De toutes les idées ? de toutes, des "bonnes" comme des "mauvaises"- chacun fera vite le partage entre celles qui ont une vocation à s'universaliser et celles qui ne sont que l'expression des intérêts d'un petit nombre. Or, l'organisation actuelle des medias va à l'encontre d'une telle exigence. Les medias sont une formidable machine à bloquer, à filtrer les idées pour ne laisser passer que celles qui sont dans l'air du temps, que celles dont ils pensent qu'elles répondent aux attentes de l'opinion, idées non-dérangeantes, on dirait tout aussi bien non-idées ; pour celles dont ils ne peuvent éviter de parler, les medias ont une capacité à les dénaturer, à les banaliser, à les réduire à un slogan, à une formule vite oubliée et remplacée par une autre, qui font fi de toute complexité ou de toute nuance. Cela tient aux relations souvent dénoncées entre les medias et les pouvoirs - politiques ou économiques -, à une généralisation de l'autocensure, à une précarisation des emplois etc. A une conception de l'information comme surinformation, ce qui est un autre mot pour dire désinformation.Toutes ces analyses sont bien connues, même si les medias s'en sont rarement fait l'écho.
J'attends de Mediapart que, fort de son indépendance à l'égard de ces pouvoirs, il fasse sauter les blocages (certains des blocages - soyons d'abord modestes ) dont nous souffrons ,jusque dans nos tête, et qu'ainsi un air frais vienne se substituer aux relens méfitiques qui nous asphyxient ! J'attends aussi de Mediapart qu'il soit un media d'opinion - qu'il affirme haut et fort les valeurs qu'il entend défendre pour échapper à la dictature du chacun selon son opinion, chacun selon son bon plaisir, comme la met en place l'amant de cette chanteuse, là, vous voyez qui je veux dire, une italienne
Patrick RÖDEL, philosophe, écrivain

Cher Patrick Rödel,
Autorisez-moi de vous dire à quel point je suis heureux que nos chemins se croisent de nouveau, cette fois-ci sur ce pré-site de MediaPart, moi comme journaliste, vous comme adhérent et je l’espère contributeur régulier.
A ceux qui ne le sauraient pas, Patrick Rödel est un philosophe qui, parmi d’autres textes, a écrit un livre remarquable sur Spinoza (Spinoza, le masque de la sagesse – Biographie imaginaire, Editions Climats, 1997), qu’Alain Minc, le président du conseil de surveillance du Monde, a plagié dans l’un de ses essais, ce qui lui a valu une lourde condamnation.
De la presse, qui a si peu parlé de son livre, et si longuement disserté sur celui de son plagiaire avant que la justice ne soit saisie, Patrick Rödel a donc de bonnes raisons de ses défier, car il a fait lui-même l’expérience des systèmes de connivence qui sont parfois à l’œuvre. Je veux donc lui exprimer ma gratitude pour la confiance qu’il nous manifeste.
Cher Patrick, mon ambition est que nous en soyons digne.

Bonjour,
j'apprécie pour ma part la réponse de Laurent Mauduit à Patrick Rödel, me souvenant de l'affaire mentionnée du plagiat par Alain Minc d'un de ses livres, tout autant que les débats plus spécialisés entre M. Lehmann et d'autres médecins.
Mais je relie aussi ces thèmes à la question de fond qui est celle de la confiance de plus en plus difficilement accordée par nombre de lecteurs, auditeurs, téléspecta(c)teurs, telle est, spectres, leur peur de se voir floués, récupérés, trahis par des colporteurs de faits peu ou mal vérifiés, de propos détournés de leur champ lexical d'origine, de pensées tronquées, etc.
Journaliste et médialogue de mon état, en région, je m'efforce de travailler à cette prise de conscience de la nécessité d'un positionnement média(s) personnel avant toute forme de prise d'opinion ferme sur des faits : qui aujourd'hui peut lire sans craindre le pire certains papiers sur les événements qui secouent le Kenya depuis quelques mois, et qui apparaissent seulement chez nous dans les médias depuis les fêtes?
Laurent, François, Edwy, la question n'est pas : serez-vous à la hauteur, mais aussi votre public saura-t-il situer le point depuis lequel vous écrirez, de haute lutte dans le microcosme médiatico-politico-affairo-bancairo-citoyen...
Bonne année à tous, lecteurs et journalistes, merci pour mediapart!
Et comme l'écrit M. Rödel, n'en déplaise à l'italienne en question qui chante pourtant si bien, la "dictature du bon plaisir" d'un seul homme ne peut pas être érigé en modèle médiatique de vertu politique sans risque pour la société humaine!
Christophe Journet, journaliste, formateur médialogue,
secrétaire du club de la presse Anjou Val de Loire

Et pour rebondir...

Clin d'oeil et satire !

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Les 3A ! Un label incontournable !

(extrait du titre inédit : "Des apôtres, des anges et des démons". Chapitre 3)

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"Dites, vous là-bas ! Venez donc par ici, deux minutes !

- Qui ? Moi ?

- Oui, vous !
- Pourquoi moi ? J’ai rien dit. J’ai rien fait.
- C’est à nous d’en décider. Et puis, nous vous trouvons un peu trop bavard ces temps-ci. Sachez que nous vous surveillons, et dernièrement on a relevé des déviances.

- Des... dév...

- Oui ! Des déviances ! Aussi, il va nous falloir, une nouvelle fois, corriger vos écarts. Nous devons nous assurer de la conformité de votre comportement avec l’ensemble de lois qui régissent ce lieu. Nous allons à nouveau tenté de vous aider à raisonner comme il faut afin d‘infléchir vos choix en notre faveur. Mais ce sera la dernière fois ! La dernière tentative ! Allez ! Suivez-moi !
- Vous suivre ? Mais où ?
- Vous le saurez toujours assez tôt. Pour l'heure, nous allons vous conditionner comme on conditionne une marchandise. C’est là, le prix à payer. Je vous propose un bocal comme premier conditionnement. Vous serez poisson rouge pendant une petite semaine. A heure fixe, dans votre aquarium, vous goberez les ressources matérielles et symboliques dont vous avez besoin pour prospérer parmi nous. Ces ressources qui sont aussi des remèdes, feront de vous le contraire de ce que vous êtes. Ils réveilleront l’autre vous-même que vous refusez de nous révéler. On va tenter encore une fois de vous réguler. Et puis, ensuite on va vous réformer.

- Me réformer ? Ca peut pas attendre deux minutes ? Faut que je...
- Allez ! Pas d'histoire ! Entrer ! Mais... essuyez-vous les pieds. Voilà. C'est bien. Prenez un siège et écoutez. Écoutez bien ! C’est une réforme à l’envers qu'on vous propose. Elle n’exclut pas, cette réforme. Bien au contraire ! C'est une réforme qui inclut et qui intègre. L’acquis doit triompher de l’inné qui lutte encore en vous. Bientôt, vous ne serez plus né mais... enseigné car, vous serez enfin ce qu’on vous aura demandé d’être. Quand on vous interrogera, vous n’aurez plus à mentionner votre date de naissance car, votre date de naissance sera la date de votre... re-naissance : le signe incontestable de votre guérison. Pour votre malheur, vous êtes encore pétri d’inné. L’acquis, notre acquis que nous tentons de vous inculquer n’a pas encore occupé la juste place qui lui revient. Vous semblez lui résister. Il est donc temps pour vous d'adhérer. Alors, préparez-vous à passer de l’autre côté !
- De l’autre côté ? Mais... de quel côté parlez-vous !
- Cessez de vous distinguer et rangez-vous ! Rangez-vous des voitures, des autobus, des trains et des avions. Rangez-vous aussi au fond d’un placard. Rangez tout et laissez sortir cet autre vous-même qui fera de vous un adepte du consensus car, si vous persistez, vous finirez par souffrir d’une forme de mépris de vous-même ; épuisé par votre entêtement, effrayé par la peur du rejet, envoûté par les illusions nombreuses qui hantent votre univers clos et stérile, un sentiment d’insignifiance viendra bientôt vous engloutir. Alors, cessez de lutter contre cet acquis que nous tentons de vous inculquer ; cet acquis qui doit nous permettre de faire en sorte que vous soyez... non pas heureux car le bonheur ne nous est et ne vous sera d’aucune utilité... mais... comme neutralisé sur ordre et au pied levé.

- Neutralisé ?

- Oui ! Pour bien faire, vous serez et la majorité tapageuse et la majorité silencieuse ; une majorité non soumise, non rebelle ; une majorité neutre, comblée et assouvie.

- ..............;

- Ah ! Mais... comment dire ? Comment décrire cet état ? Comprenez bien que ce concept est tout nouveau pour nous. Nous n'en sommes encore qu'au stade de l'expérimentation. Alors, c’est pas facile. Il faut pouvoir trouver des mots nouveaux pour décrire ce nouvel état de conscience qui frise... l’inconscience.

- Je vois.

- Disons que prochainement vous ne vous ferez plus d’illusion sur quoi que ce soit et sur qui que ce soit. Dans un état cotonneux, confiant et raisonnable comme la raison qui guide nos pas et tous nos choix, vous flotterez entre deux eaux. Vous serez... attendez voir ! Vous serez... Adulte, apolitique et... abruti ! Oui, c'est ça ! Vous serez complètement abruti, à jeun mais... a... bru... ti ! Abruti... en l'état et... à l'état brut ! Les 3A ! Vous connaissez ?

- Les 3A ????

- Oui ! Un nouveau label incontournable ! La norme, la référence absolue les 3A : Adulte, Apolitique et Abruti ! Je vous explique : épuré, stabilisé, indécis mais ouvert à toutes les propositions et à tous les vents, fasciné par les courants d'air, bientôt vous ne ferez plus qu'un avec les désirs du plus grand nombre car les indécis se rangent toujours du côté de l’avis de ceux qui n’en ont pas. Pour vous, la raison du plus fort en gueule et en image sera la meilleure des raisons qui soit et celui qui possédera l’écran le plus grand, sur écran géant - écran de la plus haute définition -, celui-là remportera votre vote. Le premier qui parlera et qui sera le dernier à l‘ouvrir recueillera votre assentiment et votre suffrage universellement exprimé. Comme vous pouvez le constater, notre système fait appel à l’ouïe et à la vue : l'audio et la vidéo ! Son et images ! Eh oui Monsieur ! C’est tout un monde que nous mettons en scène. Tout un monde ! Le nôtre ! Le seul !"

Copyright Serge ULESKI.2007. Tous droits réservés

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Les ULESKI : Peinture, littérature et actualité - auteur en quête d'un éditeur à l'adresse suivante : http://sergeuleski.blogs.nouvelobs.com