Robbe-Grillet, le dernier rendez-vous

18/02/2008Par
Auteur: 
Sophie Dufau

 L’écrivain et cinéaste Alain Robbe-Grillet est mort dans la nuit du dimanche 17 au lundi 18 février 2008, à l’âge de 85 ans. Auteur d’une dizaine de romans (Le Voyeur, La Maison de rendez-vous) et d’autant de films (L’année dernière à Marienbad, la Belle captive), il fut l’une des figures du Nouveau Roman, mouvement littéraire français des années 1950-1970, regroupant quelques écrivains (Nathalie Sarraute, Michel Butor, Claude Simon…) autour des Éditions de Minuit dirigées alors par Jérôme Lindon.

La maison d’édition belge Les Impressions nouvelles avait eu la bonne idée de lui suggérer d’écrire sa biographie. Et quand Robbe-Grillet raconte Robbe-Grillet, cela donne ceci: "Alain Robbe-Grillet, ingénieur agronome, cinéaste et romancier, est né à Brest le 18 août 1922 dans ce qu'il est convenu d'appeler une famille modeste, bien que la modestie n'ait guère appartenu au quant-à-soi de parents trop marqués par l'esprit de clan, libres-penseurs, insoumis, anarcho-monarchistes, portant une même condamnation sans appel contre l'armée, la religion et la démocratie parlementaire.

Après les études classiques des humanités gréco-latines, il se spécialise dans les mathématiques et la biologie, pour entrer à l'Institut national agronomique dont il est diplômé en 1945. Il occupe alors pendant sept ans, avec intérêt mais sans réel enthousiasme, diverses fonctions au sein d'organismes officiels de recherche (…). »

Il écrit alors un premier roman, Un Régicide, puis un second, qui sera édité par les éditions de Minuit. Sa notoriété est véritablement acquise avec Le Voyeur. Dans sa « biographie », Robbe-Grillet se souvient que « la critique au pouvoir » se déchaîne alors « allant jusqu'à réclamer contre l'auteur la correctionnelle et l'asile de fous, tandis que Bataille, Barthes, Blanchot prennent son parti avec éclat. Robbe-Grillet devient conseiller littéraire des éditions de Minuit et le restera pendant vingt-cinq ans. Avec Lindon, il réunit sous l'étoile bleue quelques romancières et romanciers dont il se sent frère, tous fort jaloux de leur indépendance, souvent plus âgés que lui mais aussi peu orthodoxes, imposant ainsi l'idée d'un mouvement littéraire : le Nouveau Roman. Comme il publie en même temps dans la presse de brefs articles sur la littérature, qui font scandale, on lui attribuera même, à tort sans aucun doute, les titres plus ou moins malveillants de chef d'école et de pape. »

Ce provocateur de génie, si réfractaire à la bienséance, fut pourtant élu en mars 2004 à la si sérieuse Académie française. Devant siéger au 32e fauteuil à la suite du décès de Maurice Rheims, il refusa toujours de prononcer le discours de réception en forme d’éloge de son prédécesseur. Elu mais jamais admis, son dècès au moins libérera l’Académie du poids de ce trublion.

« Robbe-Grillet était un homme drôle, provocateur », se souvient l’écrivain Benoît Peeters, publié lui aussi en 1976 aux Editions de Minuit et auteur, en 2002, d’une série de grands entretiens avec l’écrivain. De ces six heures de rencontres et de plongées dans les archives du cinéaste-écrivain furent produits deux DVD.

Tout fut abordé : les années de guerre, le père pétainiste, le STO et « l’effondrement du sens » qui, suggère Benoît Peeters, est « au centre de toute son œuvre ». Avec délice, Benoît Peeters se souvient d’un « très grand narrateur, ce qui est tout de même un beau pied de nez à tout ceux qui pensaient que le Nouveau Roman avait la volonté d’en finir avec tout récit ». Il se rappelle aussi un homme éperdument amoureux de sa femme, la romancière Catherine Robbe-Grillet, auteur du fameux Jeune Mariée, récit de ses amours avec l’écrivain où la liberté de chacun n’avait comme limite que l’absolu respect de l’autre. Mais Robbe- Grillet était aussi un interlocuteur « difficile, complexe, insolite, mordant et caustique ». Benoît Peeters se souvient ainsi que l’écrivain lui avait demandé de couper une réplique au montage : « On a l’impression que tu as le dernier mot. » Ce soir, Robbe-Grillet ne l’aura pas.

 

 

J'ai eu l'honneur de participer à un dîner en l'honneur d' Alain Robbe-Grillet, qui était invité par une directrice de librairie des éditions de Minuit, il y a un peu plus de 25 ans, dans un restaurant de Grenoble : j'en ai gardé le souvenir d'un homme posé, modeste, convivial et gai, intelligent, agréable, un homme rare.
Ce témoignage n'apporte pas grand chose, cela me fait simplement plaisir de le dire aujourd'hui, que les lecteurs de Mediapart m'en excusent.

kairos

Je lisais ses romans à la fin des années 60... "Dans le labyrinthe" m'avait particulièrement plu... Je me demande si demain il sera redécouvert, ou tout à fait oublié comme Henri Bordeaux ou Paul Bourget? Il paraît qu'aux Etats-Unis et au Japon il reste en vogue... Je pense que certaines de ses pages "érotiques" pourraient figurer dans une nouvelle anthologie de l'humour noir