Pour un nouveau journalisme d’investigation… sociale

16/01/2008Par

« Journalisme d’investigation »… l’expression est habituellement associée aux affaires politico-financières (lire à ce propos l’article sur notre site de Fabrice Lhomme). Le journaliste d’investigation s’entend alors comme le reporter qui travaille, sur la base d’informations exclusives, à dévoiler des affaires de malversations financières, de corruption,  d’abus de biens sociaux ou tout simplement de privilèges injustifiés, pérennisés par l’habitude, l’inertie du système et la discrétion de ceux qui en bénéficient. Ce travail d’enquête est nécessaire à l’information du grand public, a fortiori dans un contexte de capitalisme mondialisé, opaque et marqué par de hauts niveaux de collusion d’intérêts entre pouvoirs politiques, économiques et financiers. Le nouveau livre de la journaliste canadienne Naomi Klein, The Shock Doctrine, vient d’en apporter une nouvelle démonstration; il sort en France dans quelques mois.

Mais il existe aussi une autre tradition d’enquêtes au long cours, elles aussi appuyées sur des informations ignorées du grand public, pour d’autres raisons cette fois-ci. Parce qu’elles ont trait à des évolutions sociologiques, économiques ou culturelles trop récentes pour avoir été identifiées par les experts. Parce qu’elles sont masquées par les images toutes faites et les idées reçues; ou tout simplement parce que trop rares sont ceux qui prennent la peine d’aller voir ce qui se passe au-delà du spectacle médiatique. A quoi rêve-t-on dans les banlieues pavillonnaires ? Comment agriculteurs et rurbains cohabitent-ils ? Quel rapport peut-on bâtir au monde du travail quand on commence sa vie professionnelle en touchant le RMI ? Et qui a remarqué que l’on voit réapparaître ces vieux pauvres que l’Etat Providence avait voulu endiguer ? L’Observatoire des inégalités est sur ces sujets une précieuse source d’informations. 

 Aux Etats-Unis, au début du XXe siècle, se forge un courant d’investigation sociale surnommé « muckraker », littéralement « gratteur de boue et d’ordures » que les plus méprisants qualifient de « fouille-merde », fondé sur l’ambition de rendre compte de la misère des classes laborieuses de l’époque. Le journaliste Upton Sinclair en est l’une des figures les plus emblématiques, notamment avec son roman sur les ouvriers des abattoirs The Jungle (1906) – une œuvre de fiction mais nourrie de l’observation empirique du milieu décrit. De son côté, Ida Tarbell s’attaque à l’histoire de la compagnie pétrolière Standard Oil et le photographe Jacob Riis livre, avec How the other half lives, un reportage d’anthologie sur la vie dans les taudis. 

Après la Grande Dépression de 1929, le journaliste James Agee et le photographe Walker Evans partent à la rencontre des petits métayers frappés par la crise et écrivent un livre d’une exceptionnelle puissance descriptive, Louons maintenant les grands hommes. Plus près de nous, l’écrivain irlandais Robert Mc Liam Wilson et le photographe Donovan Wylie renouent avec cette tradition pour donner à voir et surtout à entendre les victimes de la politique thatchérienne des années 80 en Grande Bretagne dans Les Dépossédés (2005 pour la traduction française). Plus récemment encore, l’Italien Roberto Saviano publie Gomorra, magistrale enquête sur la mafia napolitaine qui réussit à entremêler révélations sur les ramifications de la « Camorra » dans l’économie italienne et descriptions à couper le souffle de beauté et de dureté des habitants de la banlieue de Naples. 

 Tous ces livres ont en commun de révéler des zones d’ombres des sociétés qu’ils décrivent, de mettre à jour des rapports de pouvoir, de domination, d’exploitation habituellement occultés, mais aussi de donner à entendre des voix et des pensées le plus souvent ignorées. Autrement dit, de lier petite focale, ces gros plans minutieux sur le quotidien des personnes décrites, et plans larges, c’est-à-dire la capacité à intégrer ces menus récits et leur part anecdotique dans le cadre d’une analyse d’ensemble des grandes mutations politiques et économiques en cours. 

C’est dans ce sillage que devrait pouvoir se construire un journalisme d’investigation sociale contemporain, sachant utiliser le texte, les images et le son pour rendre compte des réalités auxquelles il se frotte. Malgré la persistance d’une fracture numérique qui tient une partie de la population française (plus âgée, plus défavorisée) éloignée d’Internet et des cultures numériques, écrire et informer sur le web ne condamnent pas au ghetto sociologique. 

Dans les mois qui viennent, vous trouverez donc au programme de MediaPart des enquêtes sur les souffrances au travail et la nouvelle condition salariale, les discriminations et les nouvelles formes d’inégalités, les transports et le logement, l’articulation entre question environnementale et question sociale… Ces sujets ne touchent pas les « marges » de la société mais bien le vaste nombre de gens ordinaires, sans visage, ceux qui sont les premiers touchés par la réforme en cours de la carte judiciaire, la Loi libertés et responsabilités des universités, la rénovation urbaine, les modifications des règles du regroupement familial, l’appauvrissement des sols et la pollution des villes. 

 

Chère Jade Lindgaard,
Ainsi, selon vous, vivre dans une banlieue pavillonnaire apporterait des rêves caractéristiques ? Agriculteurs et urbains auraient plus de difficultés à cohabiter les uns avec les autres qu'entres eux ? Le RMI donnerait à celui qui l'a touché des rapports spécifiques face au monde du travail ?

Quel étrange journalisme que vous nous proposez là !

Quelles étranges questions que les vôtres !

N'apportent-elles pas interprétations orientées plus qu'informations ?

Bonsoir Franade,

Je suis aussi impatiente que vous de répondre à ces questions! Ce texte propose des hypothèses de travail. Il s'agira pour nous de prendre le temps qu'il faudra pour enquêter afin d'apporter les réponses les plus justes possibles, et non de le faire a priori.
Quelques remarques néanmoins pour ne pas éluder vos interrogations :
La sociologie des habitants des banlieues pavillonnaires épouse globalement les contours d'une classe moyenne modeste avec de fortes aspirations sociales. Ils se distinguent de ceux des cités des zones urbaines sensibles ou des campagnes. Il existe à ce jour très peu de travaux de sociologues à leur sujet, nous manquons donc de connaissance sur leur manière de vivre et de rêver (la revue Vacarme s'apprête à publier un entretien avec de rares chercheurs qui se sont intéressés au suje, à suivre donc). D'où l'intérêt pour nous d'aller à leur rencontre!
A propos des rurbains : l'installation à la campagne de ménages venus des villes crée des cohabitations difficiles parce que générations, cultures, rythmes de vies s'entrechoquent parfois...
Enfin à propos du RMI : comme vous le savez il faut avoir 26 ans pour le toucher. Or certains jeunes enchaînent période de formation, stages, demande d'emploi...et, ne pouvant toucher d'allocations chômage, n'ayant jamais travaillé, le RMI. Situation paradoxale que d'entamer son expérience professionnelle par un statut précaire vous enjoigant à vous insérer alors que c'est souvent malgré soi que l'on reste sans travail. Il y a là une violence parfois très mal vécue.
Voilà quelques pistes. Maintenant au boulot, et en espérant que nos articles vous convaincront!
Bien à vous,

Jade Lindgaard

Chère Jade Lingaard,
Je me permets de citer ici la conclusion d'un article d'Edwy Plenel (http://www.mediapart.fr/presse-en-debat/pouvoir-et-independance/08012008...):

"Le journalisme, ce pourrait être modestement cela : défendre le réel, sa connaissance et son investigation, contre l’irréalité des démagogies et des idéologies."

N'y-a-t-il pas, au pire, quelque démagogie, au mieux, quelque idéologie derrière l'existence de ce déterminisme social que vous postulez et qui formaterait les rêves, le savoir-vivre et les motivations - pour reprendre successivement vos exemples - des individus ?

Et s'il y a, chère Jade Lingaard, ce journalisme étrange que vous nous proposez n'est-il pas en grande partie de la propagande ?

Bonjour,

Votre réaction me paraît constituer justement un motif pour que ces sujets soient abordés.

Craindre le risque d'interprétation orientée (je suppose que je dois comprendre que le rédacteur des articles orienterait leur contenu ) ne me paraît pas motif à éviter ces sujets. Au contraire et sur ce point j'attends des journalistes qu'ils m'apportent des informations vérifiées. Car qui d'autre pourrait le faire?

Que savons-nous en effet sur ces questions de plus concret ou objectif que nos opinions? Avons-nous vérifié que nos opinions correspondent à des réalités et non pas à des fantasmes ou croyances? Qu'un milieu soit celui dans lequel nous vivons ne nous permet pas de conclure de façon péremptoire que nous le connaissons.

Il est loin le temps où chaque agriculteur connaissait ses voisins à plusieurs kilomètres à la ronde, où chaque citadin connaissait le nom et quelques informations sur chaque habitant de sa rue ou de son quartier... Cette évolution serait-elle vide de sens et de conséquences?

Cordialement

Bonsoir,

pour ma part je crois bien comprendre ce que nous propose Jade Lindgaard et je serai très heureux de lire les premiers articles de ce journalisme d’investigation sociale.

Je crois effectivement, contrairement à Franade semble-t-il, que vivre avec le RMI un certain temps provoque des rapports spécifiques, non seulement au monde du travail, mais aussi à celui des loisirs, et qu'il en résulte un impact non négligeable sur l'équilibre personnel, voire la vie affective.

Je souhaiterais, chère Jade Lindgaard, que vous n'oubliez pas les personnes vivant avec un handicap. Je rappelle simplement que l'allocation de personne adulte handicapée (AAH) était de 621,27 € par mois en 2007 et qu'elle augmentera de 1,1 % en janvier 2008. Elle concerne 800 000 françaises et français. Après tout ce que l'on a entendu sur le sujet lors de la campagne électorale, il y a vraiment de quoi enquêter pour approcher la réalité.

Peut-être faudrait-il que je relise plus lentement cet article, mais je peux comprendre Franade. Il se dégage un propos un tantinet universitaire. Comme une présentation de problématiques de DEA (ou de master recherche) en sciences humaines et sociales. Bref, des questions de recherche dans une perspective de thèse, et qui peuvent déconcerter, ici, tant leur traitement suggère des investigations au long court. Mais peut-être est-ce seulement ce mode de présentation et d’avertissement extrêmement scrupuleux qui suscite cette impression ; ces questions n’en sont pas moins très intéressantes. Il me semble avoir lu, également, dans Média part, un article traitant des similitudes et des différences épistémologiques dans les démarches du journaliste et du chercheur (peut-être du même auteure).

Chère Manon
Non pas du même auteur mais de celui qui vous répond par ces quelques lignes (www.mediapart.fr/atelier-journal/article/11012008/mediapart-contre-la-lo...). Vous avez toutefois raison d'y voir des préoccupations identiques et un programme de travail commun. Dans ce texte, je citais d'ailleurs (ce n'est pas un hasard) un ouvrage collectif que Jade Lindgaard a co-dirigé avec Joseph Confavreux, journaliste, et Stéphane Beaud, sociologue, sur La France Invisible et qui réunissait dans ce même état d'esprit un collectif de chercheurs, de journalistes et d'écrivains. Pour multiplier les résonances, on pourrait aussi pointer que Robert Park le sociologue dont je parle dans mon papier fut également l'un de ces muckrackers durant une partie de sa carrière (au début du XXème siècle), ce qui le conduisit notamment à défendre et soutenir par son travail dans l'espace public la cause naissante des Noirs américains aux côtés de Booker T Washington.
Ne vous inquiétez pas : nous sommes des journalistes. Vous ne lirez pas des mémoires de master mais des articles, et pas tous dans le registre de ces premières contributions qui prennent nécessairement un caractère de manifeste ou de programme.
Bien à vous
SB

Bonjour,

J'aime la formule « France invisible ». C'est justement celle dans laquelle je vis. Et je ne suis pas le seul à y vivre.
Certes comme tout le monde je lis les informations sur les souffrances (sociales), les crises, les malversations, les délits et les crimes, les SDF et l'immigration, les événements spectaculaires et les sujets qui dérangent. Je n'ai aucun effort à faire pour en prendre connaissance, je dirais même j'ai plutôt un effort à faire pour ne pas m'y intéresser trop.

Que faut-il entendre par «France invisible » si l'on exclut tous les sujets du paragraphe précédent?

S'agit-il de sujets traitant du quotidien, du banal et de la routine? Je vois déjà l'objection : « c'est pas vendeur, les gens n'achèteront pas un tel journal... ». Et pourtant :

- dans les années 90 l'informatique nous a été vendue comme facile parce qu' intuitive. Est-ce encore le cas? Si oui pourquoi y a-t-il autant de créations d'emplois d'aide aux usagers? Est-ce que la pratique de l'informatique et d'Internet est accessible à tous?

- la fracture numérique. Elle existe mais une autre existe aussi celle du langage (en plus de celle des langues). Les mots, les vocables, les termes... constituent de plus en plus une fracture. Combien de personnes autres que les intellectuels peuvent lire le sujet introduisant ce thème et les 16 réponses que j'ai trouvées sans avoir recours à un dictionnaire (et encore à condition qu'ils en possèdent un) : muckraker, métayer, démagogie, idéologie, reformation du lien, solidarité sociale (y a-t-il une solidarité qui ne soit pas sociale?), problématique, démarche «bourdivine », épistémologique, enseignement Freinet, lobbys etc. Sont-ce des termes favorisant la compréhension de tout lecteur quel que soient son niveau intellectuel...

- combien de personnes ne lisent jamais les conditions générales des contrats dans les lesquelles elles s'engagent? Alors que cela constitue un risque souvent lourd de conséquences puisque ayant des implications juridiques. Que c'est la société pour remédierà ce problème?

- un habitant de Lille, Orléans, Bordeaux, Rennes, etc. peut-il se rendre à pied dans une zone boisée (autre qu'un jardin public ou un parc d'animation) et s'y promener librement? Si cela n'est pas possible quelle est sa relation à la nature dans une époque où l'environnement devient préoccupant?

- Tout le monde parle des « associations ». Mais qui connaît réellement le contenu de ce secteur? Il est fréquent de lire ou d'entendre parler à propos des associations. Les médias utilisent ce terme quand il s'agit de mouvements d'opposition (ou de gauche), sans plus de précisions ignorant le fait qu'ils généralisent ce terme dans un sens politique alors que la majorité des associations n'en font pas... D'ailleurs qui connaît le nombre réel d'associations existantes et fonctionnantes? A ce sujet personne ne semble faire le lien entre le nombre croissant de création ou de petites associations et la désaffection de beaucoup de personnes vis-à-vis de la politique et des élections...

- la disparition dans les rues des numéros des maisons: selon le code général des collectivités territoriales cela relève de la responsabilité des communes. Il devient rare maintenant de trouver un numéro dans une rue comportant de nombreux commerces ou bureaux. Réflexion d'une employée municipale lorsque je lui expliquai que nouvel arrivant dans la ville je ne trouvais pas ni sur les plans ni sur les panneaux d'indications me donnant la direction d'une déchetterie : « ben oui mais ici tout le monde sait où! ». Elle ne m'a pas répondu lorsque je lui ai demandé alors pourquoi y a-t-il des panneaux qui coûtent cher...

Mais ce ne sont là peut-être que des sujets non vendeur et que je dois être le seul à m'y intéresser

Cordialement.

Bien sûr, excellente idée
Ce sont des domaines d'investigations négligés aujourd'hui: RMI, handicap, seul, vieux, ado, .... ce sont souvent des mots entendus assortis de chiffres et de pourcentages mais qui ne renseignent pas sur la réalité ni sur la dureté parfois des situations.
De mon coté, je me régale et souvent m'émeut de quelques instantanés glanés sur Internet: -un journaliste qui a fait son petit (dé)tour de France en vélo pendant la campagne présidentielle, rapportant sur son blog et pour une chronique de France Culture (travaux publics) ses petites perles quotidiennes récoltées au bord de son chemin. http://www.unpetittourchezlesfrancais.com/
-Même démarche de la part d'un autre "bloggueur" (peut-être blagueur d'ailleurs), mais celui-ci c'est à pied qu'il va à la rencontre des rurbains, retraités, rappeurs, routiers, ... http://lesyeuxouverts.blog.lemonde.fr/
-et enfin sur ArteRadio, cette indispensable webradio qui nous concocte des sons tous issus de la vie des gens ... et cette humanité vous pète à la figure à chaque podcast!

C'est vraiment excitant ce projet Mediapart

Olivier, 38 ans, vivant à Francfort

Il y a eu il y a 2 jours dans Le Monde un article sur la mort d'un SDF, trés simple, trés bien écrit, trés émouvant. La journaliste avait essayé de retracer ses dernières heures, de retrouver son nom, une partie de son histoire. Ce genre d'article peut paraître anecdotique, compassionnel, larmoyant... mais je le trouve essentiel. Je suis toujours étonné que l'on s'intéresse aux morts, aux accidents "spectaculaires" qui ne raconte pas grand chose pourtant de notre époque, alors que l'on laisse dans l'ombre les centaines de milliers de gens (handicappés, miséreux, pauvres, vieux, personnes seules, jeunes à la dérives, drogués, alcoliques... ) pour qui chaque jour qui passe est un combat, pour qui se lever est une lutte. Nos hommes politiques sont trés souvent extrêment éloignés de cette partie de la population qui pourtant est celle qui a le plus besoin de "politique".

Chère Jade,

Je ne puis qu'applaudir à l'idée que vous vous intéressiez au monde pavillonnaire. Le journal dont vous êtes originaire :-) ne versait pas précisément là-dedans... Et s'arrêtait avec obstination à des vies qui attirent plus immédiatement l'empathie, celles des immigrés ou des salariés en lutte - ce qui ne signifie pas que ces vies-là ne méritent pas qu'on les radiographie, bien au contraire.
Je me permets d'ajouter que nous sommes plusieurs journalistes ou chercheurs à avoir commencé à défricher ce monde-là, depuis quelques années - nombreux articles dans ParisObs, le supplément francilien du Nouvel Obs; livres du géographe Christophe Guilluy. Le terrain n'est pas complètement vierge!
Et il est passionnant.
Bon vent à MédiaPart, et à bientôt.

Je ne peux qu'adhérer à ce "mission statement", de même qu'aux choix des références citées. J'aimerais y ajouter le journaliste français François Ruffin pour son livre "Quartier Nord" (Éd. Fayard) sur la vie en banlieue d'Amiens.

Peut-être faudrait-il rappeler que ce genre de travail prend énormément de temps et d'énergie. Ruffin a passé je crois 2 ans de sa vie à enquêter et écrire "Quartier Nord". Quant à Walker Evans et James Agee ils étaient commissionnés par le gouvernement américain via la Farm Security Administration. Quant à Robert Mc Liam Wilson et son comparse photographe, si je me rappelle bien de l'avant-propos des Dépossédés, ils n'avaient "rien à perdre", plus ou moins à la rue eux-même.

Je m'interroge donc sur les conditions à réunir pour entamer ce genre de job :
- être jeune, célibataire, sans attaches ni besoins
- être "on a mission from God" comme dirait Elwood le Blues Brother
- avoir un mécène dans sa poche
- être fou
- avoir la foi
ou bien tout ceci à la fois ?!

;-)

Bravo pour le projet Mediapart en général et pour votre article en particulier. C'est vrai qu'on a envie de lire un journalisme honnête, complet, informé, sur les sujets que vous évoquez et qui sont trop peu abordés de cette façon dans les medias habituels, pour des raisons évidentes.
Je voudrais juste suggérer de ne pas limiter la qualité d'information au "muckraking".
Pourquoi, comme d'habitude, ne parler que de la détresse, des fraudes, des abus de pouvoir et de confiance, des guerres et de la corruption ?
Pourquoi ne pas faire, AUSSI, de l'investigation "positive", dans le domaine des bonnes idées, des initiatives originales, des réussites, qu'elles soient scientifiques, sociales, économiques... ? Ils ont si peu de temps d'antenne !

Bonjour Sylvia

A MédiaPart, l'investigation positive sera naturellement présente. L'essentiel est je crois de vous apporter des choses que vous ne trouverez pas ailleurs, gratuitement, sur la toile. De fait, la question de l'environnement, chère à mes yeux, est sujette à de formidables reportages, la mise en valeur d'initiatives méconnues comme par exemple le système encore expérimental "éco-plage" actuellement testé dans une petite commune du Var qui souhaite lutter contre le désensablement de sa baie... ou alors les enjeux d'une récente loi sur les parcs naturels et parcs marins, restée sous silence mais porteuse de grands changements.

A bientôt!
jordan.pouille@mediapart.fr

Bonjour Jordan... et tout le monde

Merci pour votre réponse. Je suis contente pour l'environnement, mais je ne pensais pas qu'à ça. Je vais essayer de lister deux trois exemples de sujets pour illustrer ce à quoi je pense en parlant d'investigation positive. Je parle de sujets qui restent dans l'ombre parce qu'ils dérangent les lobbies et les gouvernements tout autant que ceux du "muckraking", mais qui sont susceptibles de donner de l'espoir et de l'énergie aux lecteurs plutôt que du dégoût et de l'écoeurement. En vrac : les entreprises de micro-crédit dans les pays d'Afrique et d'Asie ; les expériences d'enseignement Freinet dans les zones difficiles, couronnées d'un succès immédiat mais jamais défendues parce qu'elles créent des citoyens un peu trop indépendants d'esprit ; les innovations scientifiques qui dérangent les gros lobbies, comme le moteur à eau ; le courage politique et humain d'une Ellen Johnson Sirleaf, à la tête d'un pays aussi difficile que le Liberia à peine sorti de la guerre civile...

Bonjour

Pour rebondir sur une question concernant les enquêtes sur les aspects positifs. N'y a-t-il pas sujet effectivement à enquête sur les modes de contournement des souffrances sociales par les individus, dans les sujets même que vous étudiez:
exemple :
-reformation du lien et de la solidarité social entre des catégories sociales habituellement peu en contact les unes avec les autres, par exemple autour du soutien aux sans papiers

- le choix de création de TPI ou du travail dans des associations plutôt que dans des entreprises ou des administrations pour éviter les souffrances au travail.

Ce n'est pas une démarche très "bourdivine" certes mais qui permet, au delà du constat et du diagnostique essentiel pour rendre compte du réel, de montrer aussi les résistances et voir des formes "créations sociales" qui peuvent dépasser la contestation ou le renoncement en dehors même de toute idéologie.

Bien à vous

Cher(e) Franade,

Je vous rassure, je ne crois pas au déterminisme social. Il est intéressant de noter à quel point le soupçon de "démagogie" et "d'idéologie" pour reprendre vos expressions pointe dès que l'on parle de certains sujets : banlieue, travailleurs pauvres...ce sera notre souci premier que de ne pas tomber dans la propagande et la démagogie dans notre travail. Ce sera à vous, si vous nous faîtes l'honneur d'être de nos lecteurs, de nous alerter si nous tombons dans ces écueils!
Bien à vous,
Jade Lindgaard

Chère Jade Lindgaard,
L'important se situe plus dans la qualité de l'information délivrée par vos articles que dans vos croyances personnelles, que, soyez-en sûre, je respecte quelles qu'elles soient.

Quant à vous faire l'honneur d'être de vos lecteurs, rien n'est moins sûr vu la tournure récente que prennent les choses ici.

Sachez toutefois qu'une condition essentielle pour cela serait le changement du modèle économique pour un modèle "gratuit" qui aurait, entre autres, pour conséquence de permettre à une grande part de la population qui servira de sujet à la majorité de vos futurs articles, de pouvoir les lire et de les commenter plutôt que de réserver ceci aux parisianistes bon teint, incapables de descendre dans un troquet pour savoir ce que c'est que de vivre avec un RMI ou dans un pavillon de banlieue.

J'ai, chère Jade Lingaard, d'une part, une aversion viscérale pour l'exploitation marchande de la misère humaine, et il est plus que temps, d'autre part, pour votre patron et votre équipe, de se montrer humbles face à Internet et d'écouter ceux qui connaissent ce média et qui souhaitent que ce projet réponde à ses ambitions de façon pérenne.

J'ai hâte de vous lire !
Oui, ce journalisme d'investigation sociale est une absolue nécessité.
De nombreux français vivent la peur au ventre, dans la crainte du déscenseur social au point qu'ils préfèrent détourner la tête et ne pas voir certaines réalités qui sont pourtant aussi les leurs quotidiennement.
Une certaine idéologie de jalousie sociale est passée par là.
Ce sera sans doute une partie du défi que vous aurez à relever.

Bon courage!

PS:
Pour ma part, le terme "investigation sociale" m'a fait penser à un film très marquant que j'ai vu adolescent au ciné-club du Lycée à Bondy:
"Aubervilliers" de Elie Lothar et Jacques Prévert, tourné en 1945.

PS2:
Je me suis permis de vous citer, il y a une 10aine de jours ici:
http://www.lepost.fr/article/2008/01/11/1080998_apres-royal-c-est-bayrou...

Il m'apparait sain de dévoiler des zones d'ombre dans une période ou factice et illussion font parties du quotidien
Essayer de déméler les fils des différents pouvoirs tant central que locaux ,leurs imbrications d'interets et financières au delà des divergences politiques et le role des médias dans leur role d'hypnotiseur entretenant au quotidien l'illusion
Mettre en lumière les differents acteurs et profiteurs du système qui contournent constamment la loi et qui s'érigent au 20h en véritable démocrates
Comprendre les collusions politico-financières au niveau central et local,les pressions que peuvent subir les acteurs locaux "les petits services rendus"
Car de nos jours la seule répression efficace est la répression économique

L'injustice est trop grande dans ce pays La France qui donne des leçon au monde entier. Qu'elle arrogance!

la vérité rend libre !

En bon citoyen, à ce stade de ma réflexion, il m’apparaît, important de toujours devoir préférer les écrits qui sauvent aux écrits qui plaisent.

Oser combattre peut apparaître aujourd'hui une entreprise vouée à l'échec tant la fracture de notre société est grande.

Mais, La vérité ne peut se laisser enfermer, elle vous rend libre !

Quand des Journalistes et citoyens disent la vérité, il y a la démocratie qui progresse mais quand des journalistes et citoyens cachent la vérité, la démocratie s’affaiblit, c’est l’aube du fascisme ; c’est grave pour le pays.
Une démocratie sans contrôle est soumise à la médiocrité des Hommes !
Une justice sans contrôle est soumise à la médiocrité des Hommes(Magistrats, Auxiliaires de justice ...etc)

La France le Pays qui ne respecte pas les droits de l'Homme!

« Ce ne sont pas seulement ceux qui font le mal qui rendent notre société infernale. Ce sont aussi ceux qui regardent, laissent faire et n’assument pas leurs responsabilités. Albert EINSTEIN. »

« Une injustice qu’on voit et qu’on tait, on la commet soi-même. »

Si nous ne modifions pas le fonctionnement de notre justice et de notre société démocratique, nous nous préparons, ainsi à vivre de nouveaux désordres sociaux et économiques, qui une, fois de plus, nous ferons faire du surplace démocratique et consacrer le gâchis de nos potentiels.
"La France est un des plus grand restaurant du monde, le repas est un des meilleurs, mais le service laisse à désirer"
« Les Politiques, Les Elus, Avocats, Magistrats, Journalistes, Syndicats doivent mettre au banc des accusés les«Loups Hobbistes » qui agissent à l’encontre des normes fondamentales et la morale et des Lois Républicaines. Il faut dire qu’ils sont rares ceux qui possèdent les ressources nécessaires de résister à l’autorité et à l’argent, car quand il y a de l’argent comme par enchantement certains partagent tout à coup la même religion.
On a vu souvent que des Hommes de pouvoir paraissent vertueux, faute d’occasion pour se démentir, mais qu’ils ont renoncé à l’Honnêteté dés que leur vertu a été mise à l’épreuve»

La France une « RI-POUBLIQUE » bananière (comme la juge Eva Joly l’a confirmée) ! Ou sont les contres pouvoir ?

Une justice qui commet des Dénis de justice, des forfaitures et des actions dilatoires ! Où sont les Droits de l’Homme ?

A méditer ,

Un citoyen , résistant , fils et petit fils de résistant.

Bien Cordialement,
Richard ARMENANTE

Article enthousiaste et bien naïf....je crains qu'on ne vous le ressorte dans quelque temps...mais bonne chance quand même.

Chère Jade Lindgaard,
Je trouve votre approche extrêmement pertinente, qui évite le fourre-tout "sociétal", la réduction, le point de vue totalitaire, parce qu'elle vous mènera à opérer des distinctions dans le social, par le social, c'est-à-dire par une approche forcément singulière.
Bon courage.

extrait de AFP 01-02-08
" Les fouilles réalisées jeudi et vendredi matin, dans un restaurant de Brie-Comte-Robert (Seine-et-Marne), ont cessé dans l'après-midi, sans résultat.
Ces fouilles avaient été entreprises sur la foi de renseignements communiqués par un journaliste indépendant, Mohamed Sifaoui, aux policiers de la Direction régionale de la police judiciaire de Versailles (Yvelines).
Le journaliste, selon ses dires confirmés par une source proche du dossier, aurait transmis aux policiers une cassette vidéo, dans laquelle un homme affirmait avoir appris qu'un cadavre avait été découvert au cours de travaux visant à transformer un hangar en restaurant, à Brie-Comte-Robert en juillet.
Cette cassette et les investigations complémentaires des policiers ont abouti aux interpellations des dix personnes, dont les entrepreneurs, les employés et le responsable du res taurant, et aux fouilles réalisées au "Royal Wok".
Les dix personnes qui avaient été placées en garde à vue jeudi ont été remises en liberté vendredi, aucune poursuite n'étant en l'état actuel envisagée à leur égard."

MA QUESTION :
Le proprietaire du restaurant qui a été saccagé est'il fondé à aller casser la gueule au dit journaliste independant coupable de denonciation calomnieuse ?

il risque d'avoir des problèmes pour des coups et blessures bien fondés alors..
Le journaliste que vous évoquez en outre est impliqué dans un autre litige qui laisse transparaître également son gout pour des sujets fort lucratifs...
Je ne crois pas que le projet mediapart soit dans cet état d'esprit .

Extrait du titre inédit : "Des apôtres, des anges et des démons" - chapitre 1

Matthieu et le journalisme d'investigation

clin d'oeil et satire !
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Pour ne rien vous cacher, Matthieu avait pour ambition de remettre à l'heure toutes les pendules du journalisme, loin des connivences et du ronflement indigent et déshonorant des rédactions somnolentes de l'investigation à la papa ; incapables, ces rédactions, de résister à tout ce dont il est important de résister quand on souhaite faire son métier.

Il n’était plus question de plaire à qui que ce soit ; il s'agissait de rechercher et de traquer la vérité, loin des honneurs qui plombent la profession et des commentateurs illustres de l’actualité qui, à défaut de la contextualiser pour mieux nous la faire comprendre, commentent cette même actualité comme d’autres commentent, un verre de pastis à la main, une partie de pétanque, à l’ombre de leurs salaires mirobolants parce que...

"Tout va bien finalement et pour le mieux ! Et si d'aventure ça va plutôt mal, c'est sans aucun doute la faute de ceux qui s’obstinent à ne pas vouloir comprendre que c’est comme ça et pas autrement puisque c’est comme ça et que si c’était autrement, eh bien, ça serait bien pire encore !"

Un vrai résistant Matthieu ! Tel il se voyait et tel il serait, pour peu qu’on lui en donne les moyens. Matthieu ne cumulerait aucune autre fonction : pas de chronique, pas de télé et pas de radio, le matin, le midi et le soir et tard dans la nuit car la vanité des stars ne se couche jamais. Il refuserait les cocktails et dirait non aux voyages organisés.

Un illuminé Matthieu et sportif avec ça ! Pour gagner son bureau, Matthieu prenait l'escalier de service : trente étages, à pieds pour éviter les ascenseurs et leurs renvois qui discréditent la profession. Une jurisprudence à lui tout seul Matthieu ! Du jamais vu !

Matthieu comptait isoler l’information de tous les pouvoirs pour mieux dénoncer au sein de cette fratrie la frilosité face au courage et les archaïsmes d’une caste nostalgique d‘une époque encore contemporaine où pour défendre son bout de gras, il suffit de se baisser pour mieux ramasser les cadeaux et les privilèges empoisonnés de la servitude volontairement.

Il s’agissait ni plus ni moins d’enquêter sur celles et ceux qui, à genoux, pantalon ou jupe baissés, frétillent de l’arrière-train à toutes les heures du jour et de la nuit, scouts et cheftaines avachis, courbés à force de courbettes, incestueux et consanguins, tube de vaseline en poche parce qu‘on ne sait jamais ce qu‘on ne peut pas prévoir et puis, la proximité crée des liens à défaut de créer une information digne de ce nom.

Mais... rien de surprenant en soi ! Les têtes d’affiche de l'information ne sont-elles pas... finalement et... après coup, les meilleures clientes des proctologues ?

A la télévision, à la radio, Matthieu rêvait de débats invraisemblables, d’affrontements salutaires, de commentaires impertinents, de reportages irrévérencieux.

Tenez ! Un exemple parmi tant d'autres. Et nombreux sont ceux qui gardent encore en mémoire une prestation télévisuelle fameuse de Matthieu ; prestation que voici :

"Alors Madame, comment était-il ? Dites-nous tout ! Vous l’avez bien connu. Sauf erreur de ma part, vous avez été son épouse pendant quarante ans.
- C’est vrai. J’ai été sa seule et unique épouse pendant quarante ans. Quarante ans ! Vous imaginez ? Alors... pour répondre à votre question, je dirais qu'il était... mais... comment vous dire ?
- Dites-nous.
- Allez, je me lance... C’était un être exceptionnel. Vraiment, c'était un être exceptionnel ! Voilà.
- Un être exceptionnel ? Un être d’exception, donc ?
- Oui, c'est ça ! Il avait des yeux... mais, des yeux d’un bleu... indescriptible... un bleu comme... envoûtant ce bleu... envoûtant, vraiment ! Ses yeux étaient comme un phare...
- Un phare envoûtant, avez-vous dit ? En effet ! C’est pas rien !
- Vous voulez une autre confidence ?
- Mais je vous en prie et... je vous supplie de nous en dire davantage et je vous encourage vivement à le faire.
- Sa voix était d’une profondeur abyssale. Elle était... inouïe sa voix ! Et puis... elle portait loin sa voix ! Sa voix... c’était comme un porte-voix, un haut-parleur, un gyrophare. Le phare ! Vous voyez : encore le phare !
- Comme un leitmotiv ! Un gyrophare, vous avez dit ! Un gyrophare... comme quand il y a urgence, comme quand il y a... le feu ?
- Et je vous ai gardé le plus beau pour la fin. Je vous livre là un détail intime qui concerne notre vie de couple. Quand il se mettait au lit pour dormir... quand il se mettait au lit, mon mari, mais... comment vous dire ?

- Je vous en prie ! Dites-nous !
- C'est... délicat.
- Faites ! Faites ! C'est important que nous sachions et que nous comprenions tout.
- Bon. Puisque vous insistez tant. Quand il se mettait au lit, eh bien, pour dormir, mon mari... quand il se mettait au lit, mon mari enfilait... un pyjama de couleur rouge ! Oui ! Il se brossait les dents et il enfilait un pyjama rouge !
- Non !?
- Si !
- Alors là ! Je comprends mieux maintenant ! Mais c’est... bien sûr ! Tout devient clair et limpide. C’est pas rien quand on y pense. C’est pas rien ces dents que l'on brosse et ce pyjama qu'on enfile comme on... comme quand on enfile une aiguille ?
- Il était si mince, au fond.
- Au fond et... dans le fond aussi ? Et puis, léger, très léger, non ?
- Oui, c'est tout à fait ça.
- Madame, sa mort fait de nous, ce soir, des orphelins, vraiment !
- Oui Monsieur. Moi, complètement veuve et vous tous... entièrement orphelins.
- Dites-moi : c’était aussi un acteur ?
- Oui, bien sûr ! C’est d’ailleurs pour ça que vous êtes là, ce soir, à m’interviewer, n’est-ce pas ?
- Mais... où avais-je la tête ! Vous avez raison. En tant qu'acteur, sa réputation et sa célébrité reposaient sur son jeu. Jeu médiocre, je crois ?
- En tant qu’acteur, il était plutôt médiocre. C'est vrai. Mais, c’était un être exceptionnel.
- Exceptionnel mais... médiocre, alors ?
- D’ailleurs, à ce sujet, je ne sais pas s’il était médiocre comme acteur ou bien si c'étaient les films qu’il tournait qui l'étaient. On en parlait souvent tous les deux.
- Et que disait-il ?
- Pas grand-chose. Il n’avait pas d’idée sur la question et moi non plus.
- Mais vous en parliez souvent !
- Oui. Mais on n'a jamais pu se décider. Était-il médiocre parce qu’il tournait dans des films médiocres ou bien, les films étaient-ils médiocres parce qu’il tournait dedans ?
- En effet ! C’est l’histoire de l’œuf et de la poule. Cela dit, et si vous permettez cet aparté : ce sont toujours les mêmes qui tournent dans des films médiocres. Alors, il doit sûrement y avoir une relation de cause à effet. Quand on est médiocre, on a des goûts médiocres et on fait des choix médiocres et à la longue, on finit par n’intéresser que des réalisateurs médiocres. Les médiocres, entre eux, se reconnaissent au premier coup d’œil. Remarquez, à ce rythme, bientôt, on n’aura plus besoin des critiques de cinéma. Dites-moi quels acteurs vous recrutez et je vous dirai quel film vous vous apprêtez à tourner et vice versa.
- Cela dit, c'était une grande figure quand même. C'était une star... une étoile qui éclairait notre galaxie. C’était une étoile d’une intensité hors du commun...
- Et peu commune, donc. Une étoile comme l’étoile qui guide le berger et le berger qui guide son troupeau. Nous, comme brebis, lui, étoile et berger tout à la fois. Alors, ce soir, on a comme perdu un de nos parents. On a perdu le Père. On a perdu notre Père... qui es aux cieux, que Ton nom soit...
- Oui, c’est ça ! C’est tout à fait ça.
- Mais médiocre, quand même ?
- C'est vrai. Médiocre comme acteur et puis, mauvais comme amant. Je suis plutôt bien placée pour le dire. Vous imaginez bien.
- Comme amant aussi ? Comme c’est étrange ! Étrange ? Non, c’est... c’est surprenant. Je comprends tout maintenant. Mais dites-moi : vous avez eu deux enfants avec lui ? Comment était-il en tant que père ?
- En tant que père ? Il était... en tant que père ? Laissez-moi réfléchir pour mieux me souvenir. A mon âge, vous savez, c’est pas toujours facile... En tant que père... en tant que père ? Il était absent. Mes enfants ne l'ont jamais vu. Oui, c’est ça : il était absent et indifférent. Ces enfants ne l’ont pas connu puisqu’il ne souhaitait pas ce faire connaître d’eux. Au fond, il était tellement distrait et puis, discret aussi.
- Star mais... discret alors.
- Attendez ! Maintenant que vous m’y faites penser : ses enfants qui sont aussi... mes enfants, eh bien, ce soir, c'est vrai, ils ne sont pas à mes côtés. Ils ne sont pas venus me soutenir et me consoler. Mais qu'est-ce que...
- Le temps presse Madame. Parlons maintenant de ses livres. Parce que... comme il n'avait peur de rien, je crois qu’il écrivait aussi, n’est-ce pas ? Son style était d’une banalité affligeante. Il n'avait rien à dire, en fait.
- Mais ça marchait. Ses livres se vendaient comme des petits pains. Mais... c’est vrai ! Maintenant que vous me le dites... il n'avait rien à dire. Il n'a jamais eu rien à dire et... rien à me dire non plus. Quant à ses enfants...
- Vous voyez, il suffit de le dire. Pour résumer, c'était donc un acteur médiocre, un écrivain affligeant, un père absent et un amant vraiment mauvais.
- Oui. Je suppose qu'on peut résumer les choses comme ça.
- Mais alors, de lui, il nous reste quoi ce soir ? Un père indigne, des livres médiocres, des films mauvais et des érections... des érections molles, dirons-nous ?
- C’est tout à fait ça. Mais... je n’y avais pas pensé avant. C’est drôle, toutes ces érections molles et puis, moi son épouse et toutes ces années à ses côtés, toutes ces années... per... perdues. On peut dire ça comme ça, j'imagine.
- Sans doute Madame, même si ce n’est pas le sujet qui nous occupe ce soir.
- C'est terrible. Maintenant que j’y pense. Toutes ces années à ses côtés, lui, vraiment mauvais comme père, comme amant, comme acteur, comme écrivain et comme mari. Comment une telle chose a-t-elle pu m’échapper ?
- Merci Madame. Nous interrogerons ses maîtresses. Peut-être que là, nous trouverons matière à...
- Ses maîtresses, avez-vous dit ?
- Oui. Ses maîtresses.
- C’est bizarre, mais, ça aussi, ça m’a comme échappé. J’avais oublié ses maîtresses ! Toutes ces années à ses côtés et toutes ces maîtresses ! Mais qu’ai-je donc fait ?
- Nous devons maintenant rendre...
- Comment tout cela a-t-il pu m’échapper ? Comment ? J'ai honte pour moi, pour lui, pour...
- Merci Madame. Mais, nous devons...
- Ô malheur !
- Madame ! Excusez-nous mais, nous devons maintenant rendre l’antenne.
- Ô tyrannie !
- Madame, je regrette mais...
- Non, attendez ! Attendez ! Ne me laissez pas seule ! Restez !
- Désolé, Madame."

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On l'aura compris maintenant : Matthieu souhaitait sauver ses collègues... les sauver, malgré eux !

Ah ! Les collègues de Matthieu ! De les observer, ça en vaut la peine. C'est sûr ! Dans les traits tirés de l’outrage à la dignité humaine, on peut y lire sur leurs visages à tous, l‘abaissement et le parti pris un jour, de ne contrarier personne et surtout pas les puissants car, ça pèse lourd toute cette servitude, ce suicide ontologique. A faire l’âne pour avoir de l’avoine, ne finit-on pas... bourricot quoi qu’on puisse penser quand on veut se rassurer ? Et puis, le cynisme n’est pas à la portée de toutes les bourses mentales ; il a son revers de médaille et son revers porte le nom de dégoût. Oui ! Le dégoût qui viendra bien un jour envahir les consciences de tous ceux qui auront exercer leur métier dans le déshonneur de la mémoire outragée de ceux qui ont donné leur vie, ici et ailleurs, pour que cette profession puisse rester un métier et non pas une tribune pour tribuns en mal de célébrité.

Ces gens, pensait Matthieu, enquêtent non pas pour révéler les faits mais pour les étouffer. Le mensonge par omission est le péché mignon de la profession. On occupe les canaux de diffusion, et puis, on cherche l’information qu’il faudra taire avant de la faire disparaître pour mieux parler d‘autres choses, de tout, de rien dans le but de faire diversion pour ne jamais - ô grand jamais ! - parler de tout ce qui pourrait faire de nous, pauvres larrons en foire, des êtres matures parce que... dignement informés. Transposé dans le monde de l’enquête policière, cela porte un nom : dissimulation de preuves et... ri... ri... ? Ripoux ?

Oui ! C'est bien ça : ripoux !

Ne vous y trompez pas ! Il est bien là et nulle part ailleurs, le scoop révolutionnaire de Matthieu : si vous voulez connaître la vérité sur quoi que ce soit, enquêtez donc auprès des professionnels de l'information, chroniqueurs et tâcherons de l'analyse frileuse et lâche. On juge ces preneurs d’otages de l’information intelligente et courageuse, ces racketteurs de l’analyse impartiale, pédagogues de la résignation, sur leur capacité à pouvoir tuer l’information pour nous passer l’envie de rechercher quelque vérité que ce soit, parce que comprendre, c‘est chavirer et chavirer, c‘est remettre en question un monde qui a de bonnes raisons de marcher sur la tête, tout comme nous qui allons bientôt mourir idiots, atterrés et rongés par mille questions restées sans réponses, mille affronts restés impunis, mille promesses non tenues et sans jamais, non jamais, comprendre le pourquoi et le comment puisque c‘est bien cette incompréhension là qui nous a tués à petit feu : "Mais alors, qu’est-ce qui s’est passé et qu‘est-ce qui m'est arrivé ?" se demandera bientôt l‘agonisant.

Eh bien, il ne s’est rien passé et il ne vous est rien arrivé ! Non, rien ! Vous n’avez rien appris parce qu’on ne vous a simplement rien dit. Votre ignorance n'a servi qu'à nourrir les comptes en banque de tous ceux qui sont chargés de vous faire mourir idiots et... ignorants.

Tenez, je vous propose un extrait du discours prononcé par le rédacteur en chef d'un brûlot pour lequel Matthieu a travaillé pendant un temps. Cette allocution qui en vaut bien d’autres, devrait nous permettre de mieux comprendre la ligne de conduite éditoriale de ce journal.

Je le cite de mémoire, entre deux hoquets et deux renvois, le coude bien haut, et cul sec :

"Chers collègues ! Informer, c’est résister et préparer la riposte ! Informer, c’est faire la guerre à tous ceux qui paieraient cher pour ne plus nous voir faire notre travail ! Si, comme c’est le cas, l’info en continu est au journalisme ce que le spot publicitaire est au Septième Art, et la restauration rapide à notre belle et grande tradition culinaire : qu’est-ce qu’une information pour cette information événementielle ? Une part d’audience et une part de marché, et rien d’autre. Le fait divers est au journalisme ce que le bal musette est à la musique : si on ne danse pas, on ne s’amuse pas ! Tout est fait pour divertir et faire diversion. On relativise, on décontextualise, on obscurcit pour empêcher toute analyse courageuse. Et lorsqu’ils s’aventurent à vouloir nous expliquer quoi que ce soit, c’est pour mieux brouiller toutes les pistes et nous amener à penser que l’on n’y peut rien. Alors, sachez qu’avec nous, on peut tout... sur tout et... à toute heure du jour et de la nuit ! Seule une information mise en perspective renforce un regard critique. Ne cherchez donc pas l’émotion car l’émotion est le pire des mensonges quand il s’agit d’éclairer la vérité. Cherchez une prise de conscience, lucide et déterminée. Notre métier ne consiste pas accompagner les événements pour mieux les tenir en laisse et faire en sorte qu’ils n’échappent pas à la censure. Nous sommes là, pour les prévoir et les dénoncer, tous ces événements et là, bien là, pour apporter la contradiction à tous ceux qui... une nouvelle fois, paieraient très cher pour que tous ces événements demeurent inaccessibles car... incompris. Notre information ne se consomme pas, elle se déguste comme on déguste un vin, un grand millésime, un grand cru, grand et rare. Nous n’avons pas à chercher à rassurer, à inquiéter, à fabriquer du réel qui n‘a de réel que le somme de toutes leurs manipulations face auxquelles, noyés dans des “pourquoi” et des “comment” restés sans réponses, on s’interdit toute question pour ne plus attendre de réponse. Alors, mes soldats ! Posez-leur et posez-vous toutes les questions et tentez d’y répondre avec audace et honnêteté. N’hésitez pas à froisser toutes les susceptibilités et à gêner tous les intérêts ! L’information qui sortira de cette rédaction par la grande porte et la tête haute révélera au monde le réel tel qu’il est. Notre information réveillera les consciences endormies ; et si nos lecteurs en perdent le sommeil : eh bien, tant mieux ! Notre information aura pour vocation première et dernière de mettre en lumière l’arnaque incommensurable qui se cache derrière tous ceux qui ont la prétention de faire de nous des êtres soi-disant libres et responsables dans une vie muselée par une ignorance qui n’a qu’un seul but : faire en sorte que nous soyons dépassés par une réalité volontairement incompréhensible. Notre information ne soumettra personne. Nous ne nous adressons pas à des consommateurs mais à des êtres doués de raison. On ne leur demandera pas d’être solvables ; on leur demandera simplement de raisonner avec nous. Nous ne sommes pas là pour asservir, ni pour servir qui que ce soit et nous servir au passage. Notre information ne sera pas un événement, un spectacle, une vitrine, un tremplin, mais une libération. Pas de mise en scène donc ! Car l’information événementielle est au journalisme ce que la messe est aux enterrements : elle n’explique rien cette messe et cherche à faire de nous des êtres résignés... face à l’inéluctable. Si les voies de Dieu sont impénétrables, sachez que les voies de leur information verrouillée longtemps à l’avance le sont tout autant. Camarades ! Vous l’aurez maintenant compris : notre information doit combattre sans relâche un système barbare, hautement civilisé et sophistiqué ! Une civilisation qui cherche inlassablement à pénétrer le mental de pauvres bougres qui mourront, si rien n’est fait, sidérés. Notre journal fera crever tous ces tartuffes et tous ces petits Machiavel en herbe ! Mes petits soldats ! Faites la guerre à l’information désincarnée et faites la crever une bonne fois pour toutes les fois où cette information a tenté de nous prendre encore et toujours pour des demeurés !"

Copyright.2007. Serge ULESKI. Tous droits réservés.

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Les ULESKI : Peinture, littérature et actualité - auteur en quête d'un éditeur à l'adresse suivante : http://sergeuleski.blogs.nouvelobs.com