MediaPart contre la logique Eurodisney

11/01/2008Par

« Un bon journaliste est un journaliste qui a démissionné », proclamait l’association Sauvons la recherche lors de sa manifestation du 6 décembre dernier. Comment, comme journaliste, ne pas se sentir violemment interpellé ? Par delà le mécontentement habituel des acteurs sociaux à l’égard du traitement médiatique de leur cause, comment ne pas voir dans cette affirmation raide l’aveu d’une très profonde perte de confiance ? N’est-ce pas, là encore, l’un des nombreux symptômes de cette crise de la presse dont MediaPart entend d’abord, avec ce pré-site, prendre toute la mesure pour très vite et, en actes, proposer au quotidien des solutions ?

Ce que pointe sans doute ce slogan provocateur, c’est la grandissante difficulté à concilier le temps long de la recherche, et son approche par définition complexe des phénomènes, avec un agenda médiatique bousculé et toujours prêt à céder à la facilité. Il traduit aussi le malaise plus large, ressenti par bon nombre de professionnels comme de citoyens, face aux assauts répétés d’un anti-intellectualisme qui, de Fouquet’s en Eurodisney, ne prend même plus la peine de se cacher. Lecteurs ou journalistes, nous le savons bien : depuis de longues années déjà, cette guerre à l’intelligence fait rage dans les médias.

Entre journalistes et chercheurs, les relations n’ont jamais été faciles. Question de concurrence sans doute, chacun tentant selon ses procédures et ses moyens de livrer une vérité. C’est une même et unique volonté de savoir que partagent deux professions qui pourtant s’appuient sur des épistémologies diamétralement opposées. D’un côté, la recherche de faits scientifiques, c’est-à-dire validés par leur régularité. De l’autre, la recherche de faits journalistiques, c’est-à-dire caractérisés par leur exceptionnalité. Lorsque les journalistes s’intéressent par définition aux trains qui arrivent en retard, les économistes, les sociologues ou les ingénieurs qui voudraient donner une image la plus scientifique possible du trafic ferroviaire doivent bien sûr s’intéresser à l’ensemble des trains.

A focaliser principalement leur attention sur la « déviance » (d’où le rôle central dévolu au fait divers dans l’avènement de la presse, ce lien étroit entre « le sang et l’encre » qu’évoque l’historien Dominique Kalifa), les médias remplissent sans doute, par le rappel incessant des normes, une indispensable fonction d’intégration sociale. Dans des sociétés hyper-médiatisées comme la nôtre, on peut pourtant se demander si cette vision biaisée de la réalité n’induit pas une véritable crise de la représentation, au sens d’une difficulté à se/nous représenter la société. Il suffit de considérer les effets politiques de la question de l’insécurité pour avoir un aperçu du problème.

La pipolisation ne ressort-elle pas de la même logique ? D’où l’attention excessive portée aux êtres exceptionnels plutôt qu’aux commun des citoyens, sans même parler de tous ceux sur lesquels on pourrait coller un sticker « Pas vu à la télé », et qui composent cette France invisible qu’a arpentée récemment un collectif de journalistes et de chercheurs pour une fois très judicieusement associés.

Connaissance journalistique contre connaissance scientifique : depuis longtemps, cette tension me passionne et nourrit ma pratique professionnelle. Il y a juste vingt ans, au moment où j’hésitais entre les deux univers et comme pour retarder l’heure du choix, je me suis penché sur l’une des très rares figures qui s’est tour à tour brillamment confrontée au journalisme et à la sociologie, Robert Ezra Park. Né en 1864 (la même année que Max Weber), il fut d’abord reporter à l’âge d’or de la grande presse américaine avant, à 50 ans, de devenir sociologue et de fonder la fameuse école de Chicago

Cet audacieux tournant professionnel vers une discipline encore embryonnaire était en fait la conséquence de l’échec, en 1892, de Thought News, un magnifique projet de journal qui n’a jamais pu voir le jour. Déçu par l’évolution sensationnaliste d’une presse désormais déstabilisée par la puissance de la publicité, Robert Park avait imaginé en compagnie de Franklin Ford un journal qui se serait appuyé sur la philosophie et la science pour rendre compte de l’actualité. Thought News devait ainsi s’intéresser à ce que Park a, par la suite, appelé les big news, c’est-à-dire les tendances de long terme d’une société, ces faits qui trop souvent échappent au regard pressé du journaliste obsédé par l’événementiel.

Thought News s’annonçait comme un journal « qui ne doit pas aller au-delà des faits ; qui doit rendre compte de la pensée plutôt que de l’habiller de ses habits du passé ; qui plutôt que de s’appesantir à l’infini sur le seul processus humain accompagnant les faits doit avancer les faits eux-mêmes ; qui ne doit pas débattre des idées philosophiques per se mais les utiliser comme des outils dans l’interprétation des mouvements de pensée ; qui doit traiter des questions de science, de lettres, d’Etat, d’écoles et d’églises comme d’éléments de la vie remuante de l’homme, et donc comme des questions d’intérêt public ; qui doit rendre compte des nouvelles recherches et des nouvelles découvertes dans leur environnement plutôt que dans leur importance exagérée ; qui doit remarquer les nouvelles contributions à la pensée du point de vue de l’actualité et non pas de celui d’un patron ou d’un censeur ».

Fort de son expérience de reporter à Wall Street, et influencé par les théories du philosophe John Dewey, Franklin Ford était fasciné par le marché et le public. Il était persuadé que l’information pouvait être un produit comme un autre, c’est-à-dire qu’elle avait un prix.

C’est parce que j’ai de la suite dans les idées et, qu’enfin, Internet permettra à Thought News de naître que j’ai décidé de rejoindre MediaPart.

Du grand art journlistique et culturel
Moi de la "France d'en bas" . J'en redemande ,on ne m'a jamais parlé ainsi
Cordialement

Je suis d'accord pour l'essentiel avec le texte de Sylvain Bourmeau et je le loue de rejoindre MediaPart auquel je viens moi-même de m'abonner mais je ne pense pas toutefois qu'il faille exagérer l'anti-intellectualisme du sarkozysme, anti-intellectualisme qui serait lié à la pipolisation du pouvoir. Sinon, on comprendrait mal que l'équipe sarkozyste ait tenté de rallier un certain nombre d'intellectuels avec succès parfois (Glucksmann) sans y parvenir dans d'autres (Bernard-Henri Lévy) et qu'il tente de s'emparer d'un certain nombre d'idées comme celles d'Amartya Sen ou d'Edgar Morin . En réalité, ce que montre le fonctionnement du sarkozysme depuis mai 2007, c'est qu'un pouvoir quelconque ne peut fonctionner sans idéologie. Ceci devrait d'ailleurs nous réconforter nous autres intellectuels, car cela montre qu'il nous reste toujours une place à occuper, celle qui consiste précisément à se battre sur les mots et les concepts. Un bon exercice pourrait par exemple consister à montrer comment la "politique de civilisation" ou le "bonheur national brut" en tant que "politiques qualitatives" liées à l'écologie, à la décroissance etc. peuvent être utilisées pour obtenir une décroissance des revendications qualitatives en termes de salaire ou de pouvoir d'achat. Mais ce n'est qu'un exemple...

IDEOLOGIE
Vous avez raison de dire qu'il y a une place pour les intellectuels : et comment !
Si cette place était moins visiblement vacante, l'idéologie de récupération, dont Edgar Morin - avec tout le respect qu'on lui doit - est le dernier fournisseur-grossiste - consentant ou non , il n'en a rien dit-, à avoir réalisé une belle percée sur le marché florissant des idées - niche en or pour le panier d'H. Guaino - , cette idéologie de récup' que l'actuel président nous "vend", en bout de chaîne, tel un produit transformé, occuperait une place moins dominante dans le débat public.

Bonjour Monsieur Bourmeau,
j'ai regardé Esprits libres (?) hier soir.
Le débat :
Edgar Morin et Henri Guaino, sur la politique de civilisation.
Votre intervention (politique de cour, je ne comprends pas) n'ayant pas eu de place dans le débat, pourriez-vous le poursuivre hors-antenne ?
Merci

Bonjour
Je ne connais pas cette émission "Esprit Libre"
Peut-on la ré-écouter ou la revoir ?
D'avance merci
Et B R A V O à vous Monsieur Bourmeau pour cet article
La " France d'en bas " comme dit un interlocuteur, et dont je fais partie va enfin pouvoir s'instruire

"Esprits Libres" sur France 2:
http://programmes.france2.fr/esprits-libres/23844267-fr.php

Oui, on peut en revoir la version intégrale pendant une semaine.

Je vous remercie beaucoup, Axel

Je vais, de ce pas, visionner cette émission

Bonjour,
Ce que j'ai voulu dire vendredi soir à Esprits Libres lors d'un débat avec Edgar Morin et Henri Guaino, c'est que pour moi la politique de civilisation faisait d'abord référence au travail d'un sociologue allemand, Norbert Elias, qui a montré comment sur le long terme nos sociétés s'étaient pacifiées selon ce qu'il appelle un "procès de civilisation". C'est ce processus par lequel nous avons un jour pu utiliser des couteaux à tables sans s'entretuer, c'est ce processus qui explique la baisse régulière du taux d'homicide dans ces sociétés… Et comme ce sociologue a également travaillé sur la "société de cour", je me suis permis de taquiner Edgar Morin en lui demandant si, à propos de Sarkozy, il ne s'était pas trompé de concept eliassien… Si je me suis permis de le taquiner de la sorte, c'est que je reste perplexe devant la manière dont il laisse le président et Henri Guaino (y compris lors de ce débat) s'approprier son travail. Comment croire en cette politique de civilisation lorsque le jour même de la conférence de presse un projet de loi Dati était discuté au parlement visant à instituer une rétention pour des condamnés après qu'ils aient purgé leur peine ? C'est un pur scandale juridique ainsi que l'a dénoncé Robert Badinter, un homme a l'origine d'une indiscutable politique de civilisation (l'abrogation de la peine de mort). Dans en entretien à Libération, Edgar Morin a déclaré avoir deux désaccords avec la politique de Nicolas Sarkozy, l'un sur l'alignement à Bush, l'uatre sur les étrangers. Deux seulement ? Le discours de Dakar relève-t-il d'une politique de civilisation ? La réforme fiscale revenant sur des consensus républicains vieux d'un siècle et quasi supprimant les droits de succession relèvent-ils d'une politique de civilisation ? On pourrait multiplier les exemples qui montreraient combien il faut analyser les usages des concepts par l'équipe Sarkozy, leur mise en scène et en récit mais ne jamais être dupe des décisions véritablement prises.

Bonjour,

Au delà de vos explications fortes intéressantes sur votre prise de position lors de cette émission, je souhaiterai savoir comment vous êtes devenu chroniqueur à esprits libres ? Est-ce que vous allez continuer à l'être tout en travaillant à media part ?

Si j'ai beaucoup d'admiration pour votre travail (je vous lisais assidûment dans les Inrocks, je podcaste la suite dans les idées ttes les semaines), j'avoue avoir du mal à comprendre finalement votre participation à cette émission de télévision où vous essayez ce jour là de parler de norbert elias sans qu'aucun participant ne le relève vraiment et encore moins son animateur (l'a t-il lu et pis encore le connait-il) ?

Thomas

Bonjour Thomas (et Sylvain),
Juste un mot pour abonder dans votre sens, car j'ai exactement le même sentiment quand je vois ce genre d'émission. On a l'impression qu'on "se paye" des grands noms, mais qu'ensuite il n'y a ni le temps, ni l'esprit pour profiter de leurs qualités. Un peu d'ailleurs parfois le même processus pour les invités eux-mêmes!
Je ne connais pas Philippe Tesson, mais une autre chroniqueuse d'Esprits Libres, Elizabeth Tchoungui, fait également la même (fausse) pauvre impression que Sylvain Bourmeau, par rapport à ce qu'on avait pu voir de son excellent travail par exemple à TV5 Monde.

J'y vois une des démonstrations les plus flagrantes, que la télévision ne réussit généralement pas aux gens plus authentiques.
Il y a aussi le fait que des émissions aussi riches de plusieurs sujets différents, tous aussi profonds et passionnants les uns que les autres, ne peut que frustrer quant au découpage strict du temps, et à l'exercice des chroniqueurs qui ne disposent que de quelques secondes pour "placer" leurs interventions.

Sylvain,
Je m'étonne que vous ne répondiez pas à mes questions. Il me semble que le faire reviendrait pour vous à exercer un regard critique et réflexif sur votre activité de journaliste. Je vois là une forme d'honnêteté intellectuelle. En ne perdant pas espoir d'avoir une réponse de votre part.
Thomas

Bonjour,
et désolé de répondre avec retard.
Merci tout d'abord pour l'attention que vous portez à mon travail, aux Inrocks et à France-Culture. C'est dans le même état d'esprit que je vais poursuivre ici à Mediapart, en m'adaptant aussi au mode d'écriture car chaque média, et chaque lieu de publication et d'intervention dispose de ses règles propres et de son public spécifique.
Comment je suis devenu un participant régulier à Esprits Libres ? En y étant invité une première fois à la rentrée littéraire 2006 pour évoquer le roman de Jonathan Littell notamment. On m'a ensuite proposé d'y revenir chaque fois (environ trois fois par mois). J'ai découvert l'univers de la télévision, que je connaissais mal de l'intérieur. Je pense avoir appris beaucoup depuis, notamment sur la manière de s'adresser à un public très large, dans un cadre donné. Certains peuvent se dire que cela ne vaut pas la peine, que les formats sont très brefs pour qui est habitué à ceux d'une radio comme France-Culture. Ce n'est pas mon cas. Mon souci de l'espace public, mon envie de pédagogie aussi m'encouragent plutôt à tenter des choses, vous l'avez compris.
J'ai parlé de Norbert Elias et, depuis, beaucoup de ceux qui ont vu l'émission m'en ont parlé… Même si, autour de la table, Edgar Morin et Henri Guaino ont feint d'ignorer, ils ont parfaitement compris.
Quant à Guillaume Durand, qui a sur moi un léger privilège de l'âge, et qui ne l'oubliez pas fut prof d'histoire-géo, il ne m'a pas attendu pour lire ce grand auteur…

Sylvain

Sylvain,
Je vous remercie pour votre réponse. J'en ressentai la nécessité pour croire au projet Media Part auquel vous participez. C'est donc chose faite. Vous pouvez compter un nouvel abonné à votre site d'ici très bientôt en espérant cette fois-ci que vous aurez ici toute latitude pour faire connaître des auteurs consacrés comme Norbert Elias.
Thomas

EDGAR MORIN
Vous exprimez, cher Sylvain, votre perplexité devant la passivité de l'excellent Edgar Morin face à la récupération de son travail, et en particulier de son concept de politique de civilisation, par le tandem H. Guaino/N. Sarkozy.
Je l'ai trouvé très digne, et il ne m'a pas semblé faire ami-ami, avec H. Guaino, à Esprits Libres.
Il n'a pas participé à la polémique autour de son oeuvre, ce n'était pas son rôle, mais il a clairement exprimé ce qu'était pour lui une politique de civilisation, posémént, et l'on voyait bien que cela n'avait rien à voir avec l'usage que N. Sarkozy tente d'en faire .
H.Guaino n' a d'ailleurs pas "moufté" : il avait en face de lui un sage, et là, il n'avait aucun moyen d'exister.

Je partage l'analyse de Sylvain Bourmeau, ainsi que son ambition pour Mediapart. Mais il ne faut pas réduire la politique actuelle, ni même celle menée depuis plusieurs années à une guerre contre l'intelligence. Il y a une intense production d'idées, de récits, de définitions de problèmes, qu'on ne saurait simplement dénoncer pour leur caractère idéologique ou opposer à la réalité des faits. Il est important d'analyser et de comprendre cette production, ce qui signifie par exemple qu'il faut se pencher sur le rôle des consultants qui ont contribué à la campagne de Nicolas Sarkozy puis de l'UMP lors des dernières campagnes électorales, ainsi qu'au rôle qu'ils jouent aujourd'hui dans le fonctionnement de l'Etat: qui sont-ils ? comment travaillent-ils ? d'où tirent-ils leur inspiration ? A ce titre, des comparaisons s'imposent avec l'action de Tony Blair au Royaume-Uni : tout le discours pragmatique, anti-idéologique, du New Labour s'est appuyé en même temps sur une intense production d'idées et de discours qui ont eu des répercussions profondes sur le plan politique. Autrement dit, j'attends de Mediapart non seulement des analyses fines de l'actualité, resituant les faits dans une perspective économique, sociale et politique, mais aussi un décodage du travail symbolique et idéologique des élites politiques.

Bonsoir Sylvain.

C'est en lisant ce papier que j'ai découvert que vous aviez rejoint Mediapart. J'ai un excellent souvenir de votre émission consacrée à "Internet et politique" autour du numéro d'Hermès auquel j'avais collaboré, et je suis très heureux de vous retrouver ainsi. A bientôt sur le site !

Godefroy

Jean-Louis Legalery
Au fur et à mesure que se constitue l'équipe de MediaPart, on ne peut qu'être enthousiaste et impatient, et la dernière arrivéée en date, celle de Sylvain Bourmeau, est un nouveau gage de qualité.

@ loulou
@ Olivier Borraz

Vous avez l'un et l'autre parfaitement raison de pointer le danger qu'il y aurait à sous-estimer le travail intellectuel et idéologique de Nicolas Sarkozy et son équipe. Ce fut tout le mérite récemment de la revue Mouvements (www.mouvements.info/spip.php?article224) de proposer un dossier sérieux sur cette new droite qui n'est plus, loin s'en faut, la plus bête du monde. Il faut lire ensuite l'entretien accordé par Emmanuelle Mignon, directrice de cabinet du Président, au site nonfiction.fr (www.nonfiction.fr/article-455-la_machine_a_idees_de_sarkozy.htm).
Pour se donner les moyens d'analyser la situation politique sans doute convient-il de se situer en permanence à plusieurs niveaux complémentaires : à celui du Storytelling bien sur pour reprendre le titre de l'indispensable livre de Christian Salmon (www.editionsladecouverte.fr/asp/actualites/event_arch.asp?event_id=44), à celui des idées bien entendu mais aussi (et ce n'est pas aux sociologues ou politistes que je vais l'apprendre) au plan des politiques publiques mises en œuvre. Ces décisions politiques sont effectivement plus ou moins mises en scène (certaines demeurent très discrètes) et parfois très vaguement articulées aux grandes idées mises en avant.
Quant à la référence à la guerre à l'intelligence, ne nous méprenons pas : il ne s'agit bien évidemment pas d'un grand complot désormais mené à l'échelle nationale par Nicolas Sarkozy ! Ce nouveau président s'avère davantage le symptôme que le stratége d'une guerre qui ne l'a pas attendu pour commencer. Il s'agit d'une guerre diffuse qui résulte de certains effets de la financiarisation du capitalisme comme de l'hypermédiatisation de nos sociétés, des effets mondiaux qui frappent plus fort dans les pays comme la France qui disposent de faibles contrepouvoirs. Ces grandes tendances sont magnifiquement analysées par le politiste américain, ex conseiller de Clinton, Benjamin Barber dans son récent livre Comment le capitalisme nous infantilise (www.fayard.fr/livre/fayard-281685-Comment-le-capitalisme-nous-infantilis...)
La guerre à l'intelligence c'est, par exemple, ouvrir comme mercredi dernier le journal de 7h30 d'une très grande radio nationale par les soldes alors même que dans la nuit on avait appris la victoire d'Hillary Clinton dans le New Hampshire et que la veille Nicolas Sarkozy avait tenu conférence de presse (événement repris quasi-exclusivement la veille au soir par les journaux télé sous l'angle Carla Bruni…)

La première phase du pouvoir en place est de "Star Acdiser" la société en lui supprimant tous ses repères politiques,culturels,sociaux et moraux.Lui donnée à voir qu'un seul point de réference.

La deuxième phase sera "l'albanisation" de la société avec déja des intentions belliqueuses envers certains régimes dans le but de mettre en place toute une série de mesures répréssives.

Ce procédé a déjà son fontionnement,ses principes répréssives sont déjà officieusement opérationnelles.

La troisiéme phase consistera à officialiser ces pratiques qui iront à l'encontre des Droits de l'Homme

Cordialement

Du côté de l'art et de la culture, une information nettement moins "vendeuse" que le storytelling déréalisant qui fait la une de la presse :
Le pianiste Daniel Barenboïm a pris la nationalité palestinienne.
"C’est pour moi un grand honneur de me voir offrir un passeport palestinien", a déclaré samedi soir le pianiste à l’issue d’un récital d’oeuvres de Beethoven donné à Ramallah, la ville de Cisjordanie où il se bat depuis des années pour favoriser les échanges entre jeunes musiciens arabes et israéliens.
L’art a encore des leçons à donner aux politiciens du côté de la "politique de civilisation" !!!

PASSEPORT PALESTINIEN
Merci pour cette nouvelle, très émouvante.
Il y a de l'espoir à mettre dans l'Humain, cet acte nous le rappelle.

Je réagis suite au visionnage d'Esprits libres.

Henri Guaino & Nicolas Sarkozy : un ventriloque contrôlé par sa marionnette. Guaino est peut-être sincère, mais son rôle est de capter et restituer l'air du temps, et il le fait plutôt bien.

Il reste que tant que Sarkozy ne fait pas véritablement siennes les idées et les concepts qu'on lui dicte, le fossé entre les paroles et les actes persistera. Nicolas Sarkozy est une girouette dont l'axe reste malgré tout centré sur sa propre personne, les discours, les concepts ne sont que des moyens pour satisfaire ses propres fin, une éponge qui absorbe tout mais ne retient rien.

Je suis d'accord avec ce texte de Sylvain Bourmeau. C'est une chance pour moi, nouvel abonné, de pouvoir lire et m'instruire en m'informant. C'est le sérieux que je recherche dans un quotidien national d'information qui à l'ambition d'être la référence que "LE MONDE" n'est plus.

J-L MURAT

Un point à souligner, me semble-t-il, dans l’utopie journalistique de Robert Park fut... son échec. A peine quelques années auparavant, Max Weber, qui avait lui aussi un immense projet de collaboration avec les gens de presse, dans lequel il voyait ni plus ni moins que l'avenir de la sociologie et la possibilité pour cette science de contribuer efficacement à la formation des citoyens, échoua lamentablement à le concrétiser (voir http://www.cairn.info/revue-reseaux-2001-5-p-172.htm). Le début du 20e siècle est ce moment où partout, dans les grandes nations occidentales, la presse industrielle exerce comme jamais une facination sur les intellectuels en général. Sur les sociologues tout particulièrement (en France, Gabriel Tarde, par exemple). Comment pourrait-il en être autrement ? Cette nouvelle presse permet des tirages dépassant le million, là où les revues intellectuelles et l’ancienne presse sérieuse et doctrinaire n’arrivaient péniblement qu’à 15.000 exemplaires. Elle touche, qui plus est, la masse considérable des nouveaux accédants à la lecture (les membres des classes ouvrière et paysanne récemment alphabétisés), là où la presse sérieuse et les revues, au prix très élevé et au contenu fort austère (ni faits divers, ni romans-feuilletons), ne sont lues que par le cercle restreint des élites intellectuelles. Mais voilà : précisément parce qu’elle est industrielle (et non plus artisanale), parce qu’elle est capitaliste (et non plus pré-capitaliste), et parce qu’elle est en train de devenir entièrement salariée et professionnalisée (de largement amateure et dillettante qu'elle était), cette grande presse populaire commence déjà à se détourner des logiques du monde intellectuel. Ce divorce ne fera que s’accentuer, quoiqu’en France, plus tardivement qu’ailleurs. De cette dissociation des logiques de production, des filières de formation et des mécanismes de consécration, entre monde intellectuel et journalisme, découle cet anti-intellectualisme dont parle ici Sylvain Bourmeau. Un anti-intellectualisme aujourd’hui si bien installé dans la plupart des rédactions françaises qu’il y est devenu une sorte de motif de fierté et de revendication professionnelles (les jeunes diplômés qui entrent dans le métier de journaliste, sont invités par leurs pairs à oublier tout ce qu’on leur a appris à la fac). Tandis que, symétriquement, l'anti-journalisme progresse dans les rangs des intellectuels au sens large (les individus qui ont fait des études supérieures).
Il n'y a donc aucune chance de viser aujourd’hui le développement d'une presse exigeante et de qualité permettant de lutter efficacement contre la "logique Eurodisney dans les médias", si l'on fait soi-même la promotion d’un modèle de presse «purement» industriel, capitaliste et professionnalisé. Pourquoi ? Parce que ces logiques-là conduisent irrémédiablement sur la pente du marketing rédactionnel, de la soumission des contenus aux formats qui plaisent au plus grand nombre (via l'objectivation des goûts et des préférences permise par les chiffres de vente et d’audience) et de la routinisation des façons d'aborder les problèmes de société et de poser, aux acteurs, des questions. Cependant, le hic est qu'on ne peut guère mieux lutter contre cette logique Eurodisney dans les médias, si on en revient purement et simplement à un modèle de presse artisanal, pré-capitaliste et fondé sur le bénévolat ou le dilettantisme (sur le modèle de la revue intellectuelle des années 1830). Enfin si, bien sûr, on peut essayer cette stratégie (Internet est plein de blogs qui illustrent ce modèle), mais c'est avec peu de chances de capter des audiences larges (les blogs qui atteignent les 15.000 visites par jour se comptent sur les doigts de la main. Sachant que ce chiffre exceptionnel de 15.000 ne correspond jamais qu'au tirage d’un journal doctrinaire élitiste en France… dans les années 1830. Pendant ce temps-là, TF1 réunit chaque soir 7,5 millions de personnes). Se limiter au modèle pré-industriel et pré-capitaliste ne permet certainement pas de toucher des audiences larges et fait courir le risque de se retrouver dans l'entre-soi d'un public socialement très homogène.
Mais comment lutter, alors, contre Eurodisney dans les médias ? Peut-être en visant une série de compromis : entre industrialisme (la standardisation des techniques et des formats, l'interchangeabilité des producteurs) et artisanat (la multiplication des formats singuliers, et irréguliers, l'authorship et la non interchangeabilité des producteurs) ; entre rentabilité capitalistique (dégager des profits) et esprit pré-capitaliste (viser seulement à ne pas être déficitaire; compenser les pertes par des dons, de toutes sortes, de la souscription, de l'abonnement de soutien) ; entre professionnalisme (la carte de presse obligatoire) et ouverture aux amateurs et aux bénévoles (c'est-à-dire à d'autres catégories d'intellectuels que les journalistes). Si j’ai bien compris, c’est ce modèle économique et productif-là que Mediapart veut tenter d’inventer. Pourquoi pas? Il n'y a, en tout cas, guère d'autre choix pour ceux, journalistes et lecteurs de journaux, qui ne veulent ni se résigner à la logique Eurodisney, ni se complaire dans une position élitiste où l'intellectuel renonce purement et simplement à essayer de s'adresser au plus grand nombre, et laisse le champ libre à Jean-Marie Bigard et à Jean-Pierre Pernaud .

Cher Cyril,
Cher Sylvain Bourmeau,
les remarques de Cyril sur les échecs de Weber et Park me semblent exagérément pessimistes dans l'opposition qu'elles établissent entre industrie, capitalisme et profession d'un côté; qualité et citoyenneté de l'autre. Ce point ne relève peut-être pas exactement du débat qui naît de la publication de Mediapart, mais mérite discussion. Weber n'était pas intéressé par la formation du "citoyen" et je ne pense pas qu'il aurait pu croire à l'idée qu'une presse de qualité était nécessaire pour cela. Il n'était pas libéral et encore moins républicain (au sens d'une nécessaire éducation à la citoyenneté). Son objectif, dans les entrechats qui le firent s'approcher des milieux journalistiques dans les années 1910, était avant tout scientifique (connaître la presse pour mieux comprendre son rôle dans le processus d'anonymisation de la faculté de juger de ses lecteurs). Outre l'article cité par Cyril, j'ai écrit à ce sujet un autre texte intitulé "médiatisation et anonymisation du monde chez Weber" qui devrait paraître bientôt et auquel je me permets de renvoyer à ce sujet (cf. http://www.bureau-b.ouvaton.org/tiroir/Mediatisation&anonymisation.pdf).
S'il y a cependant une leçon à tirer des réflexions wébériennes sur la presse, ce n'est pas que nous aurions besoin d'une presse "de qualité" capable de former ou d'éduquer les citoyens, mais que dans des régimes dans lesquels le règne des relations publiques nous dépouille tous ( y compris d'ailleurs ceux qui sont les sujets de l'agitation médiatique) de notre capacité à opposer aux récits impersonnels une forme d'autonomie du jugement et d'exercice de la démocratie de conflit à visage découvert, la résistance à ce processus ne prend pas tant les formes d'une lutte idéologique que d'un combat acharné pour les faits et leur nomination. Il y a d'ailleurs chez la plupart des sociologues qui ont accompagné de leurs écrits cette période du développement des médias une même méfiance à l'égard des logiques de l'opinion ou de l'éditorialisme (l'intérêt de Tarde pour le fait divers, celui de Helen Hughes pour les informations de "human interest", la méfiance de Park à l'égard des éditoriaux, etc.)
Souhaitons donc que Mediapart fasse le choix des faits, des visages et des noms. C'est la seule politique qui permette de "sortir" réellement de Disneyland et nous entraîne à élargir le champ de notre faculté de juger et d'agir.

Cher Cyril Lemieux,
Cher Gilles Bastin,

Juste pour vous remercier de ces deux contributions riches et pertinentes, tout en précisant à nos lecteurs internautes que vous êtes sociologues et que vous travaillez tous deux sur le journalisme, ses métiers et ses pratiques, Cyril ayant notamment publié "Mauvaise presse" (Métailié, 2000) et Gilles deux études sur Max Weber et la presse.

J'y reviendrai prochainement dans un article, mais il y a en effet, au cœur du projet MediaPart, l'idée d'inventer une nouvelle alliance entre le monde de l'information (les journalistes) et l'univers du savoir (les universitaires) qui dépasse les crispations académiques ou les démagogies populistes. A l'image de ce que fut l'utopie des universités populaires au début du XXe siècles, pendant ce premier âge d'or de la presse de masse auquel vous faites référence, l'idée est de créer un lieu de rencontre et de conversation où s'échangent, se transmettent et se débattent des connaissances, des expériences et des analyses documentées entre adhérents contributeurs. Un lieu où le savoir ne serait pas une barrière mais un partage, pas une mise à distance mais une mise en commun.