"Redacted", "Reporters" et MediaPart

08/02/2008Par

Redacted, de Brian De Palma, sortira sur les écrans français le 20 février. Inspiré de faits réels, le film raconte le viol d’une adolescente irakienne par des soldats américains en poste à Samara. Le réalisateur recourt à un dispositif neuf pour rendre compte du conflit en Irak : il ne fait qu’agréger des matériaux de seconde main. YouTube, caméras de surveillance, vidéos amateurs tournées par des soldats, reportages télé, sites de propagande islamistes, blogs tenus par des parents de GI... Redacted juxtapose des images de guerre venues de tous bords, sans auteurs ni destinataires identifiés (et qui, pour des raisons de droit, ont toutes été retournées par De Palma). A l’écran, un registre chasse l’autre, tout se vaut, l’information se dissout de toute part. C'est Internet décrit comme le vertige absolu.

Hasard du calendrier, MediaPart verra le jour moins d’un mois plus tard. Pas grand-chose à voir avec la grande œuvre du cinéaste américain, à première vue. Pourtant, le rapprochement n’est pas tout à fait incongru. Le film témoigne bien indirectement de la pertinence de notre projet. En somme, ici, on tentera de faire exactement l’inverse : ratisser la Toile de long en large pour en extraire le plus pertinent possible. Trier, hiérarchiser, remonter aux sources premières et les identifier. Faire l’histoire des images trouvées sur le web, et exclure celles, précisément, qui ont été redacted (« revues et corrigées »). Face au déferlement, ralentir le flux pour mieux s’y retrouver.

Entre autres choses, MediaPart produira de la vidéo, en complément ou au cœur des articles. Ce n’est pas rien, c’est même très intimidant pour le novice : nos pages d’information écrites vont se mettre en mouvement. Par endroits, nos sources prendront chair. Certains interviewés seront mal cadrés, d’autres auront droit, croisons les doigts, à de vrais plans de cinéma. Dans sa déclaration de soutien au projet, le réalisateur Nicolas Klotz pointe la caméra du doigt, expliquant que cet objet-là va tout changer de nos manières de faire et de travailler ensemble, d’échanger avec les internautes. Nous voilà prévenus.

Rapide détour par l’histoire du cinéma, à une époque où Internet n’existait pas encore. Reporters, de Raymond Depardon (1981), est l’un des tout premiers films à décrire le quotidien de journalistes au travail, sans en faire ni des héros ni des crapules. Une chose m’a longtemps gêné dans ce documentaire. Entre deux planques à la sortie du Ritz pour croiser des vedettes, les photographes de l’agence Gamma évoquent, face caméra, leur conception du reportage. A plusieurs reprises, ils parlent, sûrs de leur fait, de ce que « les gens » ont envie de voir et de lire. Conception glaçante et mécanique du métier, qui consiste à figer l’autre, celui à qui l’on s’adresse, de l’enfermer dans une identité close, de refuser l’inattendu.

A MediaPart, les lecteurs seront des abonnés, co-propriétaires du journal et membres d’une communauté. A l’encontre des reporters de Depardon, on apprendra à écouter et connaître, au fil du temps, ceux à qui l’on transmet, pour qui l’on écrit – relation inédite dont tout reste à construire. A chacun, des deux côtés de l’information, de s’apprivoiser, de s’approprier l’espace en cours d’invention. Il n’y aura pas de lecteur-type imaginaire, planant au-dessus de la rédaction, mais des zones de contacts, de discussions et d'ajustements réguliers avec les adhérents – pour prendre la température, rendre des comptes, affiner une information. Une fois en marche, ce dispositif sera à la fois, pour plagier le titre à rallonge du dernier roman de l’Américain Jonathan Safran Foer, extrêmement intimidant et incroyablement excitant.

Rien à dire, Ludovic,
votre parallèle en forme de miroir aux couleurs inversées, c'est un petit bijou, une r´flexion profondément utile qui fait suite avec bonheur aux nombreuses discussions précédentes sur Mediapart, et dans un texte en même temps facile d'accès et agréable à lire.

Tout comme dans votre vidéo de présentation, vous évoquez le "grand écart" que représente le fait de s'occuper dans un journal, à la fois d'économie et de cinéma,
ce qui, pour moi abonné, mais aussi "à la ville", est au contraire la meilleure façon de voir la vie ou le travail: une vision qui, poussée au maximum de son excellence, évoque des Léonard De Vinci ou des Omar Khayyam, grands "réunificateurs de théories" devant l'éternel… :-)

Merci aussi pour les diverses références. Bon week-end!

Je vous cite : ratisser la Toile de long en large pour en extraire le plus pertinent possible. Trier, hiérarchiser, remonter aux sources premières et les identifier.

Je ne peux qu'approuver. Aujourd'hui, le web est la meilleure source d'information possible, à condition de recouper ses sources. A propos de l'Irak, un excellent blog d'une jeune femme Irakienne, nominé d'ailleurs pour le prix Samuel Johnson : http://riverbendblog.blogspot.com/
La réalité est souvent bien différente que celle décrite par nos médias officiels.
J'espère donc que Médiapart enquêtera sur des infos soigneusement évitées par nos journalistes, comme les cables sous-marins coupés simultanément et qui ont isolé le moyen-orient du reste du monde récemment. Les sujets ne manquent pas. A quand une enquête sérieuse sur les évènements du 11 Septembre?
Bon courage.

je cite : A plusieurs reprises, ils parlent, sûrs de leur fait, de ce que « les gens » ont envie de voir et de lire. Conception glaçante et mécanique du métier, qui consiste à figer l’autre, celui à qui l’on s’adresse, de l’enfermer dans une identité close, de refuser l’inattendu.

A MediaPart, les lecteurs seront des abonnés, co-propriétaires du journal et membres d’une communauté. A l’encontre des reporters de Depardon, on apprendra à écouter et connaitre, au fil du temps, ceux à qui l’on transmet, pour qui l’on écrit – relation inédite dont tout reste à construire.

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