J-13. Les enjeux de l'investigation économique

04/03/2008Par

A quelques jours du lancement de notre site, qu’il nous soit  permis de marquer un temps d’arrêt sur la place que nous souhaitons donner à l’économie et tout particulièrement à l’investigation sur la vie des affaires et des entreprises. Si nous soulevons cette question et invitons à en débattre, c’est pour deux raisons qui se combinent. 

La première, c’est que nous avons précisément pour ambition de faire de l’enquête économique en général, et de l’investigation sur les entreprises en particulier, l’un des points forts de notre projet Mediapart. Nous essaierons, en tous cas, de nous en donner les moyens. Mais dans le même temps, nous n’ignorons pas, et c’est la seconde raison, que de toutes les formes de journalisme, celle qui a trait à la vie des entreprises et des affaires est sans doute l’une des plus difficiles.

Il est aisé de comprendre les obstacles sur lesquels bute souvent le journalisme économique. Obéissant à un principe de fonctionnement quasi-monarchique, l’entreprise est, par construction, un lieu où l’information est d’abord détenue par celui qui la dirige ou ceux qui la possèdent, le chef d’entreprise et ses actionnaires. Et les lieux de contre-pouvoirs sont faibles ou quasi-inexistants. Même les conseils d’administration les plus prestigieux, ceux où siège le gotha parisien des affaires, ne sont le plus souvent mis dans la confidence des projets importants (plans sociaux, opération financière, etc.) qu’en fin de course.  Et ces délibérations sont secrètes.

En d’autres domaines, un journaliste peut jouer de la pluralité des pouvoirs. Enquêtant sur une affaire importante qui porte sur la politique intérieure, un journaliste a de nombreux lieux de pouvoirs qu’il peut scruter pour mener à terme ses investigations. Des ministres jusqu’aux membres des cabinets ministériels en passant par les dirigeants des partis, les hauts fonctionnaires, il peut jouer de la complexité de la machine publique ou politique pour avancer, déjouer les pièges ou les manipulations.
 
Pas d’allégeance ni de connivence obligées : un journaliste qui veut honnêtement faire son travail, exercer son droit de curiosité, conduire des investigations, peut y parvenir pour peu, précisément, qu’il en ait la volonté. Même dans les systèmes de pouvoir très centralisés, comme celui de la Ve République ; même avec Nicolas Sarkozy aux commandes, qui cherche en permanence à imposer son calendrier de communication à toute la presse, il appartient à chaque journaliste de ne pas se laisser prendre au piège.

En matière économique, c’est objectivement plus difficile ! Le plus souvent, dans la vie des entreprises, un seul a le pouvoir de parler. Et au demeurant, un seul connaît les projets les plus importants en préparation: c’est le PDG. Il arrive donc que des directions d’entreprise jouent de cette position de force, distillent au compte-goutte les informations qui les arrangent, en choisissant parfois les plumes qui les mettent le mieux en scène. Ainsi fleurissent périodiquement dans la presse des « scoops », petits ou grands, qui en réalité ne sont que le sous-produit de savantes stratégies de communication. 

Même sans y prendre garde, un journaliste s’expose donc fréquemment au risque que l’on devine : devenir progressivement, insensiblement, l’assistant d’une stratégie qui n’a plus grand-chose à voir avec l’information. Non plus journaliste d’investigation mais auxiliaire de communication. Et c’est un système sans fin : plus le journaliste « coopère », plus il en est remercié par d’autres « scoops » du même acabit. Sans parler - cela existe - de compromissions plus graves...

Voilà donc la première difficulté; le premier danger : prendre langue avec le PDG ou ses proches, pour obtenir quelques menues informations mais au risque parfois de devenir son obligé ; de tomber, même involontairement, dans un système de dépendance sinon même de connivence ; et au total, de ne rien écrire qui contrevienne aux intérêts importants du dit PDG. Le danger est de ne pas replacer une info ponctuelle dans son contexte, de ne pas la recouper à d’autres sources, de ne pas la remettre en perspective dans une histoire plus large. 

Pour un journaliste, la difficulté d’enquêter dans le monde des entreprises est d’autant plus grande que le capitalisme français présente des singularités qui le distinguent de beaucoup d’autres. Souvent plus opaque qu’ailleurs, converti plus récemment que d’autres aux règles de transparence venues d’Outre-atlantique, il est aussi plus jaloux de ses secrets. Et par surcroît, dans un pays où le pouvoir central est fort et les contre-pouvoirs traditionnellement faibles, les autorités de tutelle des marchés, telle l’Autorité des marchés financiers (AMF), sont beaucoup moins indépendantes qu’ailleurs. 

Aux Etats-Unis, la célèbre Securities and Exchange Commission (SEC) régule les marchés mais aussi sanctionne : des grands patrons ont été envoyés en prison pour de longues années après des délits graves (affaires WorldCom ou Enron, affaire Milken, etc.) ; et des journalistes ont connu le même sort (un journaliste notamment du Wall Street Journal) . En France, l’AMF régule les marchés mais elle sanctionne très peu, en tout cas très peu les puissants. A l’instar de beaucoup d’organismes de régulation, comme le CSA dans l’audiovisuel, le lien de dépendance avec le pouvoir est trop fort pour que l’organisme fasse réellement son office.

Soit dit en passant, l'opacité du système français risque d'être encore accrue si le projet de dépénalisation du droit des affaires, voulu par Nicolas Sarkozy, devait aboutir. Ce qui renforcerait d'autant les enjeux de l'investigation économique.

Et puis, dans l’énumération de ces difficultés à conduire des enquêtes économiques, sans doute faut-il en ajouter une autre, qui a trait aux journalistes. Ou plutôt, sinon aux journalistes eux-mêmes, à une tradition française qui fait souvent peu de place à l’investigation économique. Il ne s’agit pas, ici, de faire une apologie sans nuance de la presse anglo-saxonne et une critique aveugle de la presse française. Mais il reste que dans un pays, il y a une tradition d’investigation en économie ; et très peu dans l’autre. Et sans doute cela s’explique-t-il : historiquement, la presse économique française est souvent née d’initiatives du monde patronal ; et s’est souvent inscrite dans une logique de services. 

Quant à la presse généraliste, du Monde jusqu’à Libération, elle a longtemps dédaigné les questions d’entreprises ou d’argent, renvoyant jusqu’au milieu des années 1990 les traitements journalistiques sur ces domaines en fin de journal et considérant implicitement qu’il s’agissait de questions n’intéressant qu’un lectorat d'initiés ou de spécialistes. Alors qu’au contraire, les questions portant sur la vie des affaires sont bien évidemment au cœur de la vie de la cité, emblématiques des mutations, heureuses ou non, qu’elle connaît...

De la crise de Vivendi Universal, en 2002, jusqu’à la prochaine privatisation d’Areva, le champion du nucléaire français, de l’affaire du « golden parachute » de Daniel Bernard (Carrefour) jusqu’aux stock-options d’Antoine Zacharias (Vinci), de l’affaire EADS jusqu’aux turbulences de Natixis et aux jongleries financières des Caisses d’épargne, pour ne parler que de la France, la vie des entreprises, les mutations que traverse le capitalisme sont des sujets majeurs qui justifient investigations, décryptages, remises en perspective.

Le projet Mediapart entend s’y employer. S’investir fortement en ces domaines. Comment allons-nous procéder, avec une équipe forcément modeste à ses débuts ? En triant, en hiérarchisant le flux considérable d’informations économiques et financières que les agences produisent chaque jour. Mais, par dessus tout, en mobilisant nos forces sur quelques enquêtes lourdes, qui auront valeur emblématiques ; qui, révèleront des évolutions économiques ou sociales de première importance. C’est en tout cas le cahier des charges que nous voulons nous donner : aller au-delà de l’image que les entreprises aiment à se donner d’elles-mêmes ; tenter de débusquer les non-dits ; ne pas se satisfaire des logiques de communication des grands groupes, de plus en plus sophistiquées, pour essayer d’établir la réalité des faits...

Objectif difficile à atteindre ? Sûrement ! Nous savons que la tâche est ardue. Qu’il faut beaucoup d’obstination et de persévérance pour parvenir à tisser des liens de confiance dans des milieux, ceux des affaires, où le secret est souvent la règle absolue. Qu’il faut prendre d’infinies précautions pour ne pas se faire « instrumentaliser ». Qu’il faut assumer du même coup des choix éditoriaux difficiles : hiérarchiser peut-être plus qu’en d’autres domaines un flux considérable d’informations ; prendre le risque de traiter en bref certaines affaires ; tout cela afin de pouvoir concentrer tous ses efforts sur les affaires les plus lourdes, les plus révélatrices.

Les raisons de ces choix éditoriaux, qui fondent le projet Mediapart pour la vie économique, et notamment pour la vie des affaires, sont simples. L’information économique et financière est de plus en plus abondante. Agences de presse, journaux, dépêches, radio : il est même difficile d’y échapper, tant la vie des affaires a tout envahi. C’est un flot ininterrompu.  Un flot qui charrie des informations innombrables, mais pour beaucoup affectées d’un biais, toujours le même : celui des marchés financiers. Un biais terrible, presque palpable : le plus souvent, il s’agit d’une information pour initiés, d’une informations de marchés, si l’on peut dire, et non pas d’une information sur les marchés ; et encore moins d’une information sur les marchés à usage des citoyens.

Indéniablement trop d’infos tue l’info ! Et ce qui est vrai dans l’actualité générale l’est sans doute plus encore dans l’actualité économique. D’où notre ambition : non pas rajouter un petit « fil d’info », celui de Mediapart, dans un flot de « nouvelles » économiques, mais nous concentrer sur ce qui manque le plus : l’enquête économique. Pour cela, nous pouvons avoir un atout décisif et nouveau, celui qu’offre le média participatif que nous voulons construire. Cadres, syndicalistes, salariés, chercheurs : vous qui serez abonnés de notre journal en ligne, vous pourrez être au cœur de la fabrication de l’information, avec nous. Au gré des enquêtes que nous choisirons de faire (sur la politique salariale des entreprises, sur la privatisation des autoroutes, sur la dérégulation du marché de l’électricité, sur la montée en puissance des fonds étrangers dans le capital des sociétés françaises, sur l’envolée de l’intérim dans certains secteurs industriels, notamment l’automobile , etc.), nous solliciterons vos témoignages : pour débusquer ce que nous n’aurions pas pu trouver par nous-mêmes ; pour nous alerter sur un fait passé inaperçu, sur un accord dérogatoire au code du travail, sur une trop discrète délocalisation, sur un contrat mirobolant, sur une innovation technologique formidable...

En bref, nous voulons essayer de réhabiliter l’enquête économique. Avec des moyens peut-être modestes mais d’innombrables capteurs nouveaux : les vôtres.

Un sujet que je vous soumets concerne un audit de la réforme des régimes spéciaux de fretraite et en particulier celui des cheminots qui conduirait selon plusieurs sources concordantes (se souvenir de l'intervention de F.BAYROU lors d'une récente émissionde TV) à engager des dépenses complémentaires en regard de la situation actuelle pour les motifs ci-après :
1) Rappels de pension
2) Intégration de primes dans la base de calcul
3) Augmentations de salaires
4) Création d'un niveau supplémentaire
etc...
Résultat des courses : des charges supplémentaires pour la SNCF (raisons du départ de AM.IDRAC...G.PEPY s'étant montré curieusement plus ferme dans les négo) alors que les prévisions d'équilibre de ce régime étaient en vue pour 2020...

Bravo et bon courage.
Mais attention au syndrome de 1942.
La diffusion de révélations peut conduire à la dénonciation et à la calomnie voire au copinage comme vous le dites si bien. Et les personnes sur lesquelles vous allez enquêter ne sont plus à une turpitude pré.
Merci et que votre travail, permette aux Médiapartistes, de débattre sur le fond.

Guy Muller

J'ai particulièrement apprécié votre série d'articles (presqu'une SAGA) sur le nouvel ensemble formé par la fusion de nombreuses entreprises : Nexity, CFF. Il faut poursuivre cette action et l'étendre à d'autres domaines.
Le secteur des télécommunications a été particulièrement touché ces dernières années par la disparition de nombreux acteurs, près de 250 entreprises en Europe, faute d'avoir les réseaux ou la taille suffisante. La dérèglementation qui devait être créatrice d'emplois et de nouvelles sociétés a échoué. De ces affrontements il ne reste plus que quelques grandes sociétés qui détiennent chacune plus de 150 millions d'abonnés : Téléfonica, DT, France Télécom, les autres sont au tapis ! On avait vendu les petites structures qui finissent de disparaître sans voir qu'un réseau propriétaire assure une implantation internationale incontournable à celui qui le possède. D'ailleurs de nouveaux monopoles existent dans les réseaux satellitaires !
La création d'une class action éviterait aux actionnaires d'être les dindons comme dans l'affaire Vivendi où les indemnisations possibles proviennent d'un jugement américain.
Quelques turpitudes sont dénoncées sur le site boursitude (contraction de bourse et de turpitude)
http://boursitude.over-blog.com/

Bon courage pour la suite

Remarques judicieuses, dont nous tiendrons compte. Alertez-nous, faites-nous des suggestions, des critiques: comme son nom le suggère, Mediapart a l'ambition d'être un journal participatif.

Si Médiapart pouvait nous aider à voir clair dans les stratégies de communication des grands groupes, ce serait inédit. Quand on lit la presse économique ces derniers temps, on a l'impression que les services de communication tiennent le stylo. Y'a qu'à voir ce qui s'écrit sur la société générale et les caisses d'épargnes. Si Médiapart pouvait briser l'omerta "Gauthier Sauvagnac", ce serait faire oeuvre de salubrité publique. Qui peut croire que 20 millions d'euros ont fait pshitttt?

L'economie ne se limite pas qu'aux seules entreprises, ni plus qu'a leurs strategies commerciales, une telle vision, un peu simpliste, conduit naturellement a se metamorphoser en auxilliaire de communication. L'economie au contraire est un sujet large, qui touche particulierement les citoyens : quelques exemples au hasard, les fonds de pension, les credits immobiliers, la mondialisation, la financiarisation, l'investissement, les impots. Le premier pas pour devenir un acteur de l'economie, plutot que d'y etre soumis, est de la comprendre. Le journalisme economique doit d'abord etre pedagogique et aussi objectif que possible. Le savoir est un liberateur.
En enquetant sur les fonds de pension au UK, par exemple, on montre ce qui pourrait attendre les citoyens francais dans l'avenir. En creusant le sujet, economiquement, on montre que le choix des fonds de pension est un choix, un choix parmi d'autre, et non le seul choix. On fait aussi comprendre qu'un fond de pension peut aussi etre un outil democratique, que l'argent qu'ils gerent peut etre utilise pour aider les plus pauvres, plutot que pour chercher les projets les plus rentables, etc.

Vaste programme et que d'objectifs dans ce manifeste.
Félicitations par avance.
C'est vrai que les grands médias sont du coté du manche et font rarement dans la nuance dans les analyses et pour le reste...
Vous pouvez également vous appuyer sur les organisations syndicales là ou elles sont présentes.
Dans les grosses entreprises, il y a un C.E., une C.C.E. et des représentants dans les C.A., bref de quoi faire.

Porter un effort d'investigation sur le monde économique me paraît judicieux tout simplement parce que c'est ce qui fait tourner notre monde actuel. Mais enquêter dans cette jungle ne sera pas simple et je suis de tout coeur avec vous.

Deux remarques cependant:
1) N'oubliez pas que vos lecteurs ne sont pas forcément des spécialistes de ce monde bizarre. Il faudra peut être mettre en place des lexiques, des liens vers des explications de procédures, ...
2) Il existe tout de même d'autres sujets que l'économie (mais là, en réalité, je n'ai pas vraiment de doutes compte tenu de la diversité des articles publiés sur le pré-site)

Votre démarche, consistant à faire de vos lecteurs, de véritables correspondants potentiels, pouvant vous aider à "instruire" au mieux vos enquêtes dans le monde, ô combien opaque, du tissu économique réel, m'amène à formuler les remarques suivantes:
- Si, comme vous le relevez, la presse française est moins pointue dans le domaine de l'information économique que la presse anglo-saxonne, ce n'est peut-être pas seulement pour cause de manque de transparence des entreprises françaises (même s'il existe bel et bien notamment en termes d'information financière), que par le manque souvent flagrant de culture économique des journalistes français. Je me souviens, dans une vie professionnelle passée, avoir dû faire un véritable cours d'analyse financière à une journaliste d'un grand quotidien économique qui couvrait mon secteur d'activité, afin de lui expliquer ce que signifiait la pratique comptable des charges à répartir et l'impact que pouvait avoir son utilisation excessive sur l'avenir de certaine entreprise (disparue d'ailleurs peu de temps après).
- Dans ce contexte il peut apparaître difficile pour certains journalistes d'apprécier à leur juste mesure des opérations parfaitement publiques, mais souvent évoquées de façon sibylline dans les annexes des comptes publiés. Ainsi le journaliste formé (vous remarquerez que je ne dis pas "compétent"; la situation me paraît plus relever d'un problème de formation que de compétences intrinsèques des journalistes) aurait-il pu s'apercevoir il y a quelques années, à la simple lecture des comptes annuels des opérateurs concernés, que la politique de subventionnement des terminaux de la téléphonie mobile, allait avoir des effets durables et récurrents sur l'économie du secteur, effets dont la recherche permanente de nouvelles recettes (et donc de la hausse tendancielle de la facture) par les opérateurs est l'un des plus apparents aujourd'hui.
- En définitive j'ai le sentiment que vous devriez vous inscrire dans une approche de l'information qui se rapprocherait plus des techniques de l'intelligence économique (la vraie, pas celle prônée par l'Ecole de Guerre Economique!), que de la simple investigation: recherche de l'information, qualification de celle-ci, analyse et, enfin, restitution. Le problème pour ce faire, et je sais de quoi je parle, est l'animation d'un réseau d'experts et d'informateurs fiables, rigoureux et... informés! Or, dans le domaine de l'information économique, les gens informés ne parlent pas. Ou peu. Ou alors seulement s'ils ont l'impression d'être laissés pour compte (vengeance) ou mal rémunérés (dépit) !
- Un des pistes que vous devriez suivre, est celle des études de brokers, dont la consultation régulière et comparative, est souvent éclairante, même si toutes les banques d'affaires n'ont pas tout à fait mis en place cette fameuse muraille de Chine appelée de ses voeux par tous les régulateurs bancaires. Ainsi, aujourd'hui, l'un des analystes les plus prudents sur l'avenir de Natixis, dont vous avez évoqué la situation ici même, est... de Natixis! Comme quoi rien n'est simple! De la même manière, dans le cadre de vos enquêtes que vous souhaitez, si j'ai bien compris, profondes et documentées, je vous recommande l'épluchage systématique des rapports d'activités, y compris sur plusieurs années (les changements de périmètre sont souvent très révélateurs) ainsi que les rapports financiers déposés auprès de la SEC (les comptes de nombre d'entreprises européennes n'ont longtemps été accessibles que via les rapports de leurs filiales déposés auprès du régulateur US - France Telecom, par exemple, avant sa cotation).
Dans tous les cas je vous souhaite de sincères voeux de succès pour votre entreprise, et si, à l'occasion d'un thème, je peux y apporter ma modeste contribution, je ne manquerai pas de le faire... dans toute la mesure de mon éventuel devoir de réserve, bien entendu!

Beaucoup des commentaires mettent l'accent sur les aspects financiers de l'entreprise. Certes l'équilibre économique est important. Mais, formation, expérience ou parcours personnel, conditionnent cette survalorisation de la présentation des comptes, destinés au monde financier et aux investisseurs boursiers.

C'est une très grande réduction de la réalité de l'entreprise. L'importance du cash flow, est qu'il résulte non pas de savantes manœuvres faites par des financiers de haut vol, mais de la capacité d'hommes et de femmes à concevoir, vendre et produire des objets ou des services, avec un résultat économique positif. Tout le reste n'est qu'habillage, maquillage, communication institutionnelle.

Ce qui manque aux journalistes français ce n'est pas la connaissance économique, mais la culture de l'entreprise. Les articles ne traduisent jamais ce qui se vit dans les bureaux de recherche et d'étude, dans les services marketing et commerciaux, dans les unités de production et dans la logistique de livraison, à la comptabilité et au personnel. L'image que la presse française projette est désincarnée. Or c'est aussi dans la chair sociale de l'entreprise que les enjeux se jouent. Un exemple : si Total a absorbé et digéré Elf, ce n'est pas la qualité de ses financiers, mais le professionnalisme de l'ensemble de ses membres qui l'a mis en position de force sur le concurrent. Pour comprendre il fallait avoir fréquenté les deux groupes...

Que les journalistes de Médiapart fassent parler d'autre que les services communication (langue de bois and Co)!

Amphigourion : Comme le dit Le Mar dans son commentaire, les journalistes français souffrent d'un handicap sérieux dans le domaine économique et dans celui des entreprises, handicap que l'on retrouve d'ailleurs dans tous les milieux (car c'est un handicap de la culture française) , notamment chez les politiques et, plus grave encore, dans le monde enseignant qui ne risque donc pas de transmettre un savoir digne du nom en dehors des disciplines ad hoc. C'est dramatique car de nombreuses réformes sont rejetées parce que mal comprises quand elles ne sont pas inadaptées.
Votre projet est donc d'un intérêt capital. Mais avant de réver de pénétrer les sanctuaires des états majors ou des noyaux d'actionnaires, les journalistes ne devraient-ils commencer par maitriser et vulgariser certains concepts économiques ou de gestion, tels que le budget de la nation, le fonctionnement d'une entreprise, en particulier celui d'une banque, sujet sur lequel on entend régulièrement les mêmes aneries..... On entend encore trop souvent des chroniqueurs citer un chiffre (si possible en milliard d'euros !!) sans le comparer avec d'autres ordres de grandeur, sans donner la possibilité d'en situer la réelle valeur , ou se satisfaire de présentations du type " il y a en France .... chômeur nouveau tous les matins".
Autrement-dit , la priorité n'est pas à mon sens de se procurer des scoops et des effets d'annonces mais de fournir un gros effort de compréhension, puis de pédagogie.

Bonjour,

Je voudrais ajouter, un peu dans le sens des deux dernières lettres de M. Daniel Carré et de M. Dominique Foissaud, le commentaire suivant.

Enquêter sur les entreprises, un peu à la manière d'une enquête policière, est une chose, intéressante et instructive.

Il serait aussi important d'avoir comme objectif l'éducation des lecteurs et des citoyens à tout faire pour ne jamais perdre leur liberté de choix devenant à l'occasion une liberté d'entreprendre.

Pour combattre une multinationale, en plus des révélations utiles à comprendre leurs fonctionnements, il suffit tout simplement, de se demander si nous avons réellement besoin de ses services, et si par hasard, un autre entreprise plus petite, plus locale, voir artisanale, ne pourrait pas nous rendre un service de qualité égale voir supérieur.

Ce que déteste le plus une multinationale est un simple citoyen qui se met à réfléchir en toute liberté, ( et avec l'information de Médiapart....) et pourquoi pas de philosopher un tout petit peu, pour prendre des décisions qui iront véritablement dans le sens de ses réels intérêts.

Les multinationales et les grosses compagnies sont fortes de la frénésie de consommations dans laquelle nous tombons tous trop facilement. Un peu de calme, un peu de réflexion ne peuvent que faire de nous, des hommes et des femmes plus heureux et moins compressés par le système.

Le capitalisme est devenue une bête, sans tête, sans même plus vraiment de pays d'origine, répendant ses tentacules dans tous les aspects de la vie des humains, alors vous aurez beau faire toutes les enquêtes du monde, les plus complêtes soient-elles, sans réflexion et sans philosophie, nous risquons fort de continuer à être les victimes d'un système que nous engraisseront en croyant le comprendre.

La prochaine révolution viendra d'un très grand nombre d'individu sur terre qui se mettront à vivre, à agir et à consommer moins et mieux en pensant à ce qui leurs apportera réellement plus de bonheur et non pas plus de biens matériels.

Si vous me croyez naif, je vous incite gentillement, soit à me relire, soit à prendre un peu de temps dans un fauteuil pour réfléchir à tous les gestes que vous auriez pu faire ces derniers temps et qui ont fait le jeu des multinationales.

Bien sûr , je consomme moi aussi des biens provenant de multinationales, mais il est impératif pour moi que ces objets soient à mon service, allant dans le sens de ma philosophie d'artisan.

Le capistalisme, le moins mauvais des systèmes, doit être à notre service, pas le contraire.

Le travail d'enquête de Médiapart, devra je pense, avoir en tête une philosophie de liberté de l'individu, de l'individu qui s'assume et se prends en main par des décisions qui lui sont avantageuses et non pas superficielles.

Devant un individu qui réfléchie calmement, les conseils d'administration et leurs stratèges sont désarmés.

Inspirons-nous des pensées et actions d'un certain Gandhi.

Je vous souhaite à toutes et tous une belle journée de liberté.

Michel Zim

kairos

Comme le débat politique, l'analyse économique devrait être contradictoire, confronter les analyses (et non les éparpiller de chronique en point de vue)...

Si l'information est difficile à trouver en France sur les entreprises françaises, n'y a-t-il pas moyen d'enquêter auprès de leurs partenaires étrangers ?

Je me réjouis de lire vos articles qui sont toujours intéressants (mais qui mériteraient parfois des éclaircissements pour celles et ceux qui ont peu de notions d'économie)

Bonjour,

Il y a l'économie...... comme un jeu, comme un objectif....mais il y a aussi et surtout l'humain.

Je trouve prioritaire de défendre le dernier, même si il est bon de comprendre le premier.....utile au deuxième bien sûr.

Belle journée.

Michel Zim

Bonjour M. Mauduit,
Je suis particulièrement intéressé par l'information économique et j'aimerais savoir si Mediapart apportera dans ses articles des schémas, courbes, cartes... pour illustrer le propos (vous aurez peut-être deviné qu'il s'agit d'une question d'enseignant...).
Envisagez-vous d'enquêter aussi sur des questions qui dépassent le cadre d'une entreprise, par exemple comment se fait-il qu'en utilisant la même monnaie, l'économie allemande génère un excédent commercial en 2007 de près de 200 milliards € alors que la France connait un déficit de près de 40 milliards ?
Cordialement,
Yann ALLAIN.

Comme je partage beaucoup des commentaires ou des interpellartions ci-dessus, je m'en tiens juste à deux remarques complémentaires:
1. Ce que j'ai écrit sur l'importance de l'investigation sur l'entreprise vaut tout autant évidemment sur les sujets macro-économiques. Nous essaierons d'avoir la même pugnacité dans un cas que dans l'autre. Pour ne prendre qu'un seul exemple, si les comptes des entreprises sont parfois opaques ou discutables (affaire Vivendi Universal en 2002...), ceux de l'Etat le sont aussi souvent (hypothèses économiques fantaisistes, débudgétisation, hors-bilan...). Il me semble donc essentiel pour un journaliste qui traite de ces questions de finances publiques d'être animé d'abord par une logique de curiosité et d'investigation, et non par une logique "d'initiés".
2. Du même coup, cher Yann Allain, cela m'amène à répondre à votre interrogation: loin de toute logique d'initiés, nous essaierons dans tous les traitements de politique économique et de politique sociale d'être le plus clair possible. Et c'est vrai que l'outil internet est un outil formidable pour cela: liens hypertextes qui renvoient aux sites importants et aux sources documentaires, courbes, statistiques, glossaires... vous verrez que nous nous appliquerons beaucoup à donner beaucoup "dintelligibilité" aux papiers que nous mettrons en ligne. Vous le verrez dès le lancement du site, le 16 mars: nous avons essayé de beaucooup travailler en ce sens pour que nos enquêtes apportent des informations nouvelles... mais tout autant des informations accessibles.

Jana

@ Laurent Mauduit

Tous mes encouragements pour vos projets, et votre souci d'informations accessibles.

Je pense qu'il serait intéressant de mettre des liens vers des glossaires pour des lecteurs (comme moi même) sans beaucoup de connaissances, en matière de termes ou parfois "jargon" concernant l'économie.

Je souhaite aussi des échanges éclairants entre lecteurs, en évitant de longs "copié/collé", en privilégiant des indications de liens s'ils s'avèrent éclairants.

Si c'est possible, en cette "saison" autour du pouvoir d'achat, je souhaiterais voir un schéma qui donne à mieux approcher des mécanismes contribuant d'une part, à la création des richesses, et d'autre part, à la "fabrication" de la pauvreté.
Merci.

Bravo pour ce " programme de travail "; je ne peux qu' y souscrire car c'est une
des raisons qui m' ont amenées à adhérer à Médiapart.
Toutefois, j' ai écouté (et entendu ! ) Mr Mauduit au journal de 12 h 30
de France Culture Jeudi dernier, je pense ( ou la veille ou le lendemain, peut
importe ) concernant " l' affaire " DGS.
Et la, DECEPTION: en gros TOUT s' explique(rai) par l'HISTOIRE: l' UIMM
a TOUJOURS procédé de la même façon, dés son origine.
Cela est surement exact... mais un peu court... et j' attendais sinon une analyse,
mais au moins, par exemple ( non restrictif ) une mise en perspective des sommes mises en jeu. ET des suites possibles de l' affaire.
BON COURAGE

maud

Bravo pour votre initiative. Aujourd'hui il devient indispensable de s'intéresser à la vie économique dans la mesure ou elle façonne de plus en plus notre vie au quotidien ... plus encore que les décisions politiques nationales.

Nous votons, endirect, pour les instances ou des niveaux de responsabilités qui ne disposent que de peu de pouvoir pour orienter la vie collective : maires qui ont délégué leur pouvoir aux communautés de communes ou urbaines (qui dirigent sans avoir élaboré et soumis un programme ou des orientations), parlements limités dans leur action par le droit communautaire et au sommet la mondialisation sans réelle régulation qui couronne le tout.

S'informer sur l'économie, la vie des entreprise au niveau national et international et ainsi comprendre la nouvelle gouvernance mondiale qui se met en place devient plus que nécessaire pour éclairer le citoyen sur son devenir.

Cette information ne doit pas, à mon sens, calquer la presse économique destinée à un public ciblé de chefs d'entreprise ou d'investisseurs mais être un outil d'information du citoyen pour l'éclairer et lui faire comprendre comment aujourd'hui il est réellement gouverné.

Cordialement,

Les enjeux de l'investigation économique ne concernent pas que le privé (même s'il est très urgent d' informer le public sur le cadrage "politique" progressif du pôle des affaires économiques de notre Justice).
Les enjeux d'une transparence des budgets publics sont aussi grands, Etat, Régions, Départements, Conseils généraux, communes, intercommunalités, pays, parcs régionaux, associations para-publique, bureaux d'études etc...
La décentralisation nécessite actuellement de savoir qui assure un réel contrôle sur les finances locales, ce n'est pas la presse régionale qui va prendre des risques dans ces domaines...Encore moins les "territoriaux", technocrates au statut professionnel précaire !
Et pourtant hors budgets Etat, ceux de nos provinces sont aussi importants.
Mediapart ne sera t il qu'un investigateur Parisien ?
Quel moyen se donne t il pour contrebalancer la "recentralisation" en cours, celle vers Paris, ou vers les Préfets de Région ?